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DES MARTYRS.

tions dans Antioche, ville toujours turbulente, où Ignace était évêque secret des chrétiens : peut-être ces séditions, malignement imputées aux chrétiens innocents, excitèrent l’attention du gouvernement, qui fut trompé, comme il est trop souvent arrivé.

Saint Siméon, par exemple, fut accusé devant Sapor d’être l’espion des Romains. L’histoire de son martyre rapporte que le roi Sapor lui proposa d’adorer le soleil ; mais on sait que les Perses ne rendaient point de culte au soleil : ils le regardaient comme un emblème du bon principe, d’Oromase, ou Orosmade, du Dieu créateur qu’ils reconnaissaient.

Quelque tolérant que l’on puisse être, on ne peut s’empêcher de sentir quelque indignation contre ces déclamateurs qui accusent Dioclétien d’avoir persécuté les chrétiens depuis qu’il fut sur le trône ; rapportons-nous-en à Eusèbe de Césarée : son témoignage ne peut être récusé ; le favori, le panégyriste de Constantin, l’ennemi violent des empereurs précédents, doit en être cru quand il les justifie. Voici ses paroles[1] : « Les empereurs donnèrent longtemps aux chrétiens de grandes marques de bienveillance ; ils leur confièrent des provinces ; plusieurs chrétiens demeurèrent dans le palais : ils épousèrent même des chrétiennes. Dioclétien prit pour son épouse Prisca, dont la fille fut femme de Maximien Galère, etc. »

Qu’on apprenne donc de ce témoignage décisif à ne plus calomnier ; qu’on juge si la persécution excitée par Galère, après dix-neuf ans d’un règne de clémence et de bienfaits, ne doit pas avoir sa source dans quelque intrigue que nous ne connaissons pas.

Qu’on voie combien la fable de la légion thébaine ou thébéenne, massacrée, dit-on, tout entière pour la religion, est une



    cherchés ; Trajan n’avait donc pas dessein de soumettre leur Dieu à son empire ; ou si ces chrétiens étaient sous le fléau de la persécution, Ignace commettait une très-grande imprudence en leur écrivant : c’était les exposer, les livrer, c’était se rendre leur délateur.

    Il semble que ceux qui ont rédigé ces actes devaient avoir plus d’égards aux vraisemblances et aux convenances. Le martyre de saint Polycarpe fait naître plus de doutes. Il est dit qu’une voix cria du haut du ciel : Courage, Polycarpe ! que les chrétiens l’entendirent, mais que les autres n’entendirent rien : il est dit que quand on eut lié Polycarpe au poteau, et que le bûcher fut en flammes, ces flammes s’écartèrent de lui, et formèrent un arc au-dessus de sa tête ; qu’il en sortit une colombe ; que le saint, respecté par le feu, exhala une odeur d’aromate qui embauma toute l’assemblée, mais que celui dont le feu n’osait approcher ne put résister au tranchant du glaive. Il faut avouer qu’on doit pardonner à ceux qui trouvent dans ces histoires plus de piété que de vérité. (Note de Voltaire.)

  1. Histoire ecclésiastique, liv. VIII. (Id.)