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EXTRÊME TOLÉRANCE DES JUIFS.

parce que Dieu même étant leur roi, rendant justice immédiatement après la transgression ou l’obéissance, n’avait pas besoin de leur révéler une doctrine qu’il réservait au temps où il ne gouvernerait plus son peuple. Ceux qui, par ignorance, prétendent que Moïse enseignait l’immortalité de l’âme, ôtent au Nouveau Testament un de ses plus grands avantages sur l’Ancien. Il est constant que la loi de Moïse n’annonçait que des châtiments temporels jusqu’à la quatrième génération. Cependant, malgré l’énoncé précis de cette loi, malgré cette déclaration expresse de Dieu qu’il punirait jusqu’à la quatrième génération, Ézéchiel annonce tout le contraire aux Juifs, et leur dit[1] que le fils ne portera point l’iniquité de son père ; il va même jusqu’à faire dire à Dieu qu’il leur avait donné[2] « des préceptes qui n’étaient pas bons[3]».

Le livre d’Ézéchiel n’en fut pas moins inséré dans le canon des auteurs inspirés de Dieu : il est vrai que la synagogue n’en permettait pas la lecture avant l’âge de trente ans, comme nous l’apprend saint Jérôme ; mais c’était de peur que la jeunesse n’abusât des peintures trop naïves qu’on trouve dans les chapitres xvi et xxiii du libertinage des deux sœurs Oolla et Ooliba. En un mot, son livre fut toujours reçu, malgré sa contradiction formelle avec Moïse.

Enfin[4] lorsque l’immortalité de l’âme fut un dogme reçu, ce

  1. Ézéchiel, chap. xviii, v. 20. (Note de Voltaire.)
  2. Ibid., ch. xx, v. 25. (Id.)
  3. Le sentiment d’Ézéchiel prévalut enfin dans la synagogue ; mais il y eut des Juifs qui, en croyant aux peines éternelles, croyaient aussi que Dieu poursuivait sur les enfants les iniquités des pères : aujourd’hui ils sont punis par-delà la cinquantième génération, et ont encore les peines éternelles à craindre. On demande comment les descendants des Juifs, qui n’étaient pas complices de la mort de Jésus-Christ, ceux qui étant dans Jérusalem n’y eurent aucune part, et ceux qui étaient répandus sur le reste de la terre, peuvent être temporellement punis dans leurs enfants, aussi innocents que leurs pères. Cette punition temporelle, ou plutôt cette manière d’exister différente des autres peuples, et de faire le commerce sans avoir de patrie, peut n’être point regardée comme un châtiment en comparaison des peines éternelles qu’ils s’attirent par leur incrédulité, et qu’ils peuvent éviter par une conversion sincère. (Id.)
  4. Ceux qui ont voulu trouver dans le Pentateuque la doctrine de l’enfer et du paradis, tels que nous les concevons, se sont étrangement abusés : leur erreur n’est fondée que sur une vaine dispute de mots ; la Vulgate ayant traduit le mot hébreu sheol, la fosse, par infernum, et le mot latin infernum ayant été traduit en français par enfer, on s’est servi de cette équivoque pour faire croire que les anciens Hébreux avaient la notion de l’Adès et du Tartare des Grecs, que les autres nations avaient connus auparavant sous d’autres noms.

    Il est rapporté au chapitre xvi des Nombres [31-33] que la terre ouvrit sa bouche sous les tentes de Coré, de Dathan, et d’Abiron, qu’elle les dévora avec