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EXTRÊME TOLÉRANCE DES JUIFS.

faculté de sentir et de penser périssait avec nous, comme la force active, le pouvoir de marcher et de digérer. Ils niaient l’existence des anges. Ils différaient beaucoup plus des autres


    sants jusqu’à satiété, s’ils sont mangés des vers, cela ne veut pas dire que Moïse enseigna aux Juifs le dogme de l’immortalité de l’âme ; et ces mots : Le feu ne s’éteindra point, ne signifient pas que des cadavres qui sont exposés à la vue du peuple subissent les peines éternelles de l’enfer.

    Comment peut-on citer un passage d’Isaïe pour prouver que les Juifs du temps de Moïse avaient reçu le dogme de l’immortalité de l’âme ? Isaïe prophétisait, selon la computation hébraïque, l’an du monde 3380. Moïse vivait vers l’an 2500 ; il s’est écoulé huit siècles entre l’un et l’autre. C’est une insulte au sens commun, ou une pure plaisanterie, que d’abuser ainsi de la permission de citer, et de prétendre prouver qu’un auteur a eu une telle opinion, par un passage d’un auteur venu huit cents ans après, et qui n’a point parlé de cette opinion. Il est indubitable que l’immortalité de l’âme, les peines et les récompenses après la mort, sont annoncées, reconnues, constatées dans le Nouveau Testament, et il est indubitable qu’elles ne se trouvent en aucun endroit du Pentateuque ; et c’est ce que le grand Arnauld dit nettement et avec force dans son apologie de Port-Royal.

    Les Juifs, en croyant depuis l’immortalité de l’âme, ne furent point éclairés sur sa spiritualité ; ils pensèrent, comme presque toutes les autres nations, que l’âme est quelque chose de délié, d’aérien, une substance légère, qui retenait quelque apparence du corps qu’elle avait animé ; c’est ce qu’on appelle les ombres, les mânes des corps. Cette opinion fut celle de plusieurs Pères de l’Église. Tertullien, dans son chapitre xxii de l’Âme, s’exprime ainsi : « Definimus animam Dei flatu natam, immortalem, corporalem, effigiatam, substantia simplicem. — Nous définissons l’âme née du souffle de Dieu, immortelle, corporelle, figurée, simple dans sa substance. »

    Saint Irénèe dit, dans son liv. II, chap. xxxiv : « Incorporales sunt animæ quantum ad comparationem mortalium corporum. — Les âmes sont incorporelles en comparaison des corps mortels. » Il ajoute que « Jésus-Christ a enseigné que les âmes conservent les images du corps, — caracterem corporum in quo adoptantur, etc. » On ne voit pas que Jésus-Christ ait jamais enseigné cette doctrine, et il est difficile de deviner le sens de saint Irénée.

    Saint Hilaire est plus formel et plus positif dans son commentaire sur saint Matthieu : il attribue nettement une substance corporelle à l’âme : « Corpoream naturæ suæ substantiam sortiuntur. »

    Saint Ambroise, sur Abraham, liv. II. chap. viii, prétend qu’il n’y a rien de dégagé de la matière, si ce n’est la substance de la sainte Trinité.

    On pourrait reprocher à ces hommes respectables d’avoir une mauvaise philosophie ; mais il est à croire qu’au fond leur théologie était fort saine, puisque, ne connaissant pas la nature incompréhensible de l’âme, ils l’assuraient immortelle, et la voulaient chrétienne.

    Nous savons que l’âme est spirituelle, mais nous ne savons point du tout ce que c’est qu’esprit. Nous connaissons très-imparfaitement la matière, et il nous est impossible d’avoir une idée distincte de ce qui n’est pas matière. Très-peu instruits de ce qui touche nos sens, nous ne pouvons rien connaître par nous-mêmes de ce qui est au delà des sens. Nous transportons quelques paroles de notre langage ordinaire dans les abîmes de la métaphysique et de la théologie, pour nous donner quelque légère idée des choses que nous ne pouvons ni concevoir ni exprimer ; nous cherchons à nous étayer de ces mots, pour soutenir, s’il se peut, notre faible entendement dans ces régions ignorées.

    Ainsi nous nous servons du mot esprit, qui répond à souffle, et vent, pour