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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/111

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À SIAM.

moment d’ivresse, ils veulent s’en retourner chez leurs parents dans un moment de raison[1]. Nous leur faisons tirer à bout portant douze balles de plomb dans la tête pour les faire rester en place après quoi ils deviennent infiniment utiles à leur patrie.

Je ne vous parle pas de la quantité innombrable d’excellentes institutions qui ne vont pas, à la vérité, jusqu’à verser le sang des hommes, mais qui rendent la vie si douce et si agréable qu’il est impossible que les coupables ne deviennent gens de bien. Un cultivateur n’a-t-il point payé à point nommé une taxe qui excédait ses facultés, nous vendons sa marmite et son lit pour le mettre en état de mieux cultiver la terre quand il sera débarrassé de son superflu,

andré destouches.

Voilà ce qui est tout à fait harmonieux, cela fait un beau concert.

croutef.

Pour faire connaître notre profonde sagesse, sachez que notre base fondamentale consiste à reconnaître pour notre souverain, à plusieurs égards, un étranger tondu qui demeure à neuf cent mille pas de chez nous. Quand nous donnons nos plus belles terres à quelques-uns de nos talapoins, ce qui est très-prudent, il faut que ce talapoin siamois paye la première année de son revenu à ce tondu tartare[2], sans quoi il est clair que nous n’aurions point de récolte.

Mais où est le temps, l’heureux temps, où ce tondu faisait égorger une moitié de la nation par l’autre pour décider si Sammonocodom[3] avait joué au cerf-volant ou au trou-madame ; s’il s’était déguisé en éléphant ou en vache ; s’il avait dormi trois cent quatre-vingt-dix jours[4] sur le côté droit ou sur le gauche ? Ces grandes questions, qui tiennent si essentiellement à la morale, agitaient alors tous les esprits : elles ébranlaient le monde ; le sang coulait pour elles : on massacrait les femmes sur les corps de leurs maris ; on écrasait leurs petits enfants sur la pierre[5] avec une dévotion, une onction, une componction angéliques. Malheur à nous, enfants dégénérés de nos pieux ancêtres, qui ne faisons plus de ces

  1. Louis XVI abolit la peine de mort pour désertion ; voyez l’article xviii du Prix de la justice et de l’humanité.
  2. Depuis la Révolution, on ne connaît plus en France les annates. On appelait annates l’impôt prélevé par le pape, du revenu d’une année, pour les bulles de certains bénéficiers, des évêques, etc. Voyez l’article Annates, t. XVII, page 259.
  3. Voyez ce mot dans le Dictionnaire philosophique, tome XX, page 390.
  4. Ézéchiel, iv, 4.
  5. Psaume cxxxvi, verset 9.