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CONSPIRATIONS

mille pour punir l’Israélite qu’on avait surpris dans les bras d’une Madianite[1] ; une de quarante-deux mille hommes de la tribu d’Éphraïm, égorgés à un gué du Jourdain[2]. C’était une vraie proscription, car ceux de Galaad, qui exerçaient la vengeance de Jephté contre les Éphraïmites, voulaient connaître et démêler leurs victimes en leur faisant prononcer l’un après l’autre le mot shibolet au passage de la rivière ; et ceux qui disaient sibolet, selon la prononciation éphraïmite, étaient reconnus et tués sur-le-champ. Mais il faut considérer que cette tribu d’Éphraïm ayant osé s’opposer à Jephté, choisi par Dieu même pour être le chef de son peuple, méritait sans doute un tel châtiment.

C’est pour cette raison que nous ne regardons point comme une injustice l’extermination entière des peuples du Chanaan ; ils s’étaient sans doute attiré cette punition par leurs crimes ; ce fut le Dieu vengeur des crimes qui les poursuivit ; les Juifs n’étaient que les bourreaux.

celle de mithridate.

De telles proscriptions, commandées par la Divinité même, ne doivent pas sans doute être imitées par les hommes ; aussi le genre humain ne vit point de pareils massacres jusqu’à Mithridate, Rome ne lui avait pas encore déclaré la guerre, lorsqu’il ordonna qu’on assassinât tous les Romains qui se trouvaient dans l’Asie Mineure. Plutarque fait monter le nombre des victimes à cent cinquante mille[3] ; Appien le réduit à quatre-vingt mille[4].

Plutarque n’est guère croyable, et Appien probablement exagère. Il n’est pas vraisemblable que tant de citoyens romains demeurassent dans l’Asie Mineure où ils avaient alors très-peu d’établissements. Mais, quand ce nombre serait réduit à la moitié, Mithridate n’en serait pas moins abominable. Tous les historiens conviennent que le massacre fut général, et que ni les femmes ni les enfants ne furent épargnés.

  1. Nombres, xxv, 9.
  2. Juges, xii, 6.
  3. Plutarque, Sylla, xxiv.
  4. Appien, qui rend compte des massacres exécutés en vertu des ordres de Mithridate (Appiani Alexandrini Romanarum historiarum, Amst., 1670, page 317), ne fait pas le dénombrement des victimes. Voltaire a probablement été induit en erreur par Rollin (Histoire ancienne, livre XXIII, article 1er).