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CHAPITRE II.


comme notre enchanteur Merlin. S’il avait existé, s’il avait opéré les miracles épouvantables qu’il est supposé avoir faits en Égypte, serait-il possible qu’aucun auteur égyptien n’eût parlé de ces miracles, que les Grecs, ces amateurs du merveilleux, n’en eussent pas dit un seul mot ? Flavius Josèphe, qui, pour faire valoir sa nation méprisée, recherche tous les témoignages des auteurs égyptiens qui ont parlé des Juifs, n’a pas le front d’en citer un seul qui fasse mention des prodiges de Moïse. Ce silence universel n’est-il pas une présomption que Moïse est un personnage fabuleux ?

Pour peu qu’on ait étudié l’antiquité, on sait que les anciens Arabes furent les inventeurs de plusieurs fables qui, avec le temps, ont eu cours chez les autres peuples. Ils avaient imaginé l’histoire de l’ancien Bacchus, qu’on supposait très-antérieur au temps où les Juifs disent que parut leur Moïse. Ce Bacchus ou Back[1], né dans l’Arabie, avait écrit ses lois sur deux tables de pierre ; on l’appela Misem, nom qui ressemble fort à celui de Moïse ; il avait été sauvé des eaux dans un coffre, et ce nom signifiait sauvé des eaux ; il avait une baguette avec laquelle il opérait des miracles ; cette verge se changeait en serpent quand il voulait. Ce même Misem passa la mer Rouge à pied sec, à la tête de son armée ; il divisa les eaux de l’Oronte et de l’Hydaspe, et les suspendit à droite et à gauche ; une colonne de feu éclairait son armée pendant la nuit. Les anciens vers orphiques qu’on chantait dans les orgies de Bacchus célébraient une partie de ces extravagances. Cette fable était si ancienne que les Pères de l’Église ont cru que ce Misem, ce Bacchus, était leur Noé[2].

  1. Voyez tome XI, page 79.
  2. Il faut observer que Bacchus était connu en Égypte, en Syrie, dans l’Asie Mineure, dans la Grèce, chez les Étrusques, longtemps avant qu’aucune nation eût entendu parler de Moïse, et surtout de Noé et de toute sa généalogie. Tout ce qui ne se trouve que dans les écrits juifs était absolument ignoré des nations orientales et occidentales, depuis le nom d’Adam jusqu’à celui de David.

    Le misérable peuple juif avait sa chronologie et ses fables à part, lesquelles ne ressemblaient que de très-loin à celles des autres peuples. Ses écrivains, qui ne travaillèrent que très-tard, pillèrent tout ce qu’ils trouvèrent chez leurs voisins, et déguisèrent mal leurs larcins : témoin la fable de Moïse, qu’ils empruntèrent de Bacchus ; témoin leur ridicule Samson, pris chez Hercule ; la fille de Jephté, chez Iphigénie ; la femme de Loth, imitée d’Eurydice, etc. (Note de Voltaire, 1771.) Eusèbe nous a conservé de précieux fragments de Sanchoniathon, qui vivait incontestablement avant le temps où les Juifs placent leur Moïse. Ce Sanchoniathon ne parle pas de la horde juive. Si elle avait existé, s’il y avait eu quelque chose de vrai dans la Genèse, certainement il en aurait dit quelques mots. Eusèbe, n’aurait pas manqué de les faire valoir. Le Phénicien Sanchoniathon n’en a rien dit : donc la horde juive n’existait pas alors en corps de peuple ; donc les fables de la Genèse n’avaient encore été inventées par personne. (Id., 1776.)