Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
CHAPITRE XIII.


eut, pendant le siége de Jérusalem, un Zacharie, fils d’un Barachie[1], assassiné entre le temple et l’autel par la faction des zélés. Par là l’imposture est facilement découverte ; mais pour la découvrir alors, il eût fallu lire toute la Bible. Les Grecs et les Romains ne la lisaient guère : ces fadaises et les Évangiles leur étaient entièrement inconnus ; on pouvait mentir impunément.

Une preuve évidente que l’Évangile attribué à Matthieu n’a été écrit que très-longtemps après lui, par quelque malheureux demi-juif demi-chrétien helléniste, c’est ce passage fameux : « S’il n’écoute pas l’Église[2], qu’il soit à vos yeux comme un païen et un publicain. » Il n’y avait point d’Église du temps de Jésus et de Matthieu. Ce mot église est grec. L’assemblée du peuple d’Athènes s’appelait ecclesia. Cette expression ne fut adoptée par les chrétiens que dans la suite des temps, quand il y eut quelque forme de gouvernement. Il est donc clair qu’un faussaire prit le nom de Matthieu pour écrire cet Évangile en très-mauvais grec. J’avoue qu’il serait assez comique que Matthieu, qui avait été publicain, comparât les païens aux publicains. Mais quelque soit l’auteur de cette comparaison ridicule, ce ne peut être qu’un écervelé de la boue du peuple qui regarde un chevalier romain, chargé de recouvrer les impôts établis par le gouvernement, comme un homme abominable. Cette idée seule est destructive de toute administration, et non-seulement indigne d’un homme inspiré de Dieu, mais indigne du laquais d’un honnête citoyen.

Il y a deux Évangiles de l’enfance[3] : le premier nous raconte qu’un jeune gueux donna une tape sur le derrière au petit Jésus son camarade, et que le petit Jésus le fit mourir sur-le-champ, ϰαὶ παραχρῆμα πεσὼν ἀπέθανεν (kai parachrêma pesôn apethanen). Une autre fois il faisait des petits oiseaux de terre glaise, et ils s’envolaient. La manière dont il apprenait son alphabet était encore tout à fait divine. Ces contes ne sont pas plus ridicules que ceux de l’enlèvement de Jésus par le diable, de la transfiguration sur le Thabor, de l’eau changée en vin, des diables envoyés dans un troupeau de cochons. Aussi cet Évangile de l’enfance fut longtemps en vénération.

Le second livre de l’enfance n’est pas moins curieux. Marie, emmenant son fils en Égypte, rencontre des filles désolées de ce que leur frère avait été changé en mulet : Marie et le petit ne manquèrent pas de rendre à ce mulet sa forme d’homme, et l’on

  1. Matthieu, XXIII, 35.
  2. Matthieu, XVIII, 17.
  3. Voyez, ci-après, la Collection d’anciens évangiles.