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DES FALSIFICATIONS, ET DES LIVRES SUPPOSÉS.


quand il donne la bataille aux Amalécites, c’est évidemment la croix, car on a la figure d’une croix quand on étend les bras à droite et à gauche. Joseph vendu par ses frères, c’est Jésus-Christ ; la manne, c’est l’eucharistie ; les quatre vents sont les quatre Évangiles ; les baisers que donne la Sulamite sur la bouche, etc., dans le Cantique des cantiques, sont visiblement le mariage de Jésus-Christ avec son Église. La mariée n’avait pas encore de dot, elle n’était pas encore bien établie.

On ne savait ce qu’on devait croire ; aucun dogme précis n’était encore constaté. Jésus n’avait jamais rien écrit. C’était un étrange législateur qu’un homme de la main duquel on n’avait pas une ligne. Il fallut donc écrire pour lui ; on s’abandonna donc à ces bonnes nouvelles, à ces Évangiles, à ces actes dont nous avons déjà parlé[1], et on tourna tout l’Ancien Testament en allégories du Nouveau. Il n’est pas étonnant que des catéchumènes fascinés par ceux qui voulaient former un parti se laissassent séduire par ces images qui plaisent toujours au peuple. Cette méthode contribua plus que toute autre chose à la propagation du christianisme, qui s’étendait secrètement d’un bout de l’empire à l’autre, sans qu’alors les magistrats daignassent presque y prendre garde.

Plaisante et folle imagination, de faire de toute l’histoire d’une troupe de gueux la figure et la prophétie de tout ce qui devait arriver au monde entier dans la suite des siècles !


CHAPITRE XIX.

DES FALSIFICATIONS, ET DES LIVRES SUPPOSÉS.

Pour mieux séduire les catéchumènes des premiers siècles, on ne manqua point de supposer que la secte avait été respectée par les Romains et par les empereurs eux-mêmes. Ce n’était pas assez de forger mille écrits qu’on attribuait à Jésus, on fit encore écrire Pilate. Justin, Tertullien, citent ces actes ; on les inséra dans l’Évangile de Nicodème[2]. Voici quelques passages de la première lettre de Pilate à Tibère ; ils sont curieux.

« Il est arrivé depuis peu, et je l’ai vérifié, que les Juifs par leur envie se sont attiré une cruelle condamnation : leur Dieu

  1. Ci-dessus, chap. X, page 222.
  2. Voyez ci-après la Collection d’anciens évangiles.