Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
DE TERTULLIEN.


CHAPITRE XXII.

DE TERTULLIEN.

L’Africain Tertullien parut après Justin. Le métaphysicien Malebranche, homme célèbre dans son pays, lui donne sans détour l’épithète de fou, et les écrits de cet Africain justifient Malebranche. Le seul ouvrage de Tertullien qu’on lise aujourd’hui est son Apologie pour la religion chrétienne. Abbadie, Houteville[1], la regardent comme un chef-d’œuvre, sans qu’ils en citent aucun passage. Ce chef-d’œuvre consiste à injurier les Romains au lieu de les adoucir ; à leur imputer des crimes, et à produire avec pétulance des assertions dont il n’apporte pas la plus légère preuve.

Il reproche aux Romains (chapitre IX) que les peuples de Carthage immolaient encore quelquefois en secret des enfants à Saturne, malgré les défenses expresses des empereurs sous peine de la vie[2]. C’était une occasion de louer la sagesse romaine, et non pas de l’insulter. Il leur reproche les combats des gladiateurs qu’on faisait combattre contre des animaux farouches, en avouant qu’on n’exposait ainsi que des criminels condamnés à la mort. C’était un moyen qu’on leur donnait de sauver leur vie par leur courage. Il fallait encore en louer les Romains : c’était les combats des gladiateurs volontaires qu’il eût dû condamner, et c’est de quoi il ne parle pas.

Il s’emporte (chapitre XXIII) jusqu’à dire : « Amenez-moi votre vierge céleste qui promet des pluies, et votre Esculape qui conserve la vie à ceux qui la doivent perdre quelque temps après : s’ils ne confessent pas qu’ils sont des diables (n’osant mentir

  1. Abbadie et Houteville n’étaient-ils pas aussi fous que Tertullien ? (Note de Voltaire, 1776.)
  2. Peut-on rien voir de plus ridicule que ce reproche de Tertullien aux Romains, de ce que les Carthaginois ont éludé la sagesse et la bonté de leurs lois en immolant des enfants secrètement ?

    Mais ce qu’il y a de plus horrible, c’est qu’il prétend, dans ce même chapitre IX, que plusieurs dames romaines avalaient le sperme de leurs amants. Quel rapport cette étrange impudicité pouvait-elle avoir avec la religion ?

    Tertullien était réellement fou ; son livre du Manteau en est un assez bon témoignage. Il dit qu’il a quitté la robe pour le manteau, parce que les serpents changent leur peau, et les paons leurs plumes. C’est avec de pareilles raisons qu’il prouve son christianisme. Le fanatisme ne veut pas de meilleurs raisonnements. (Id., 1771.)