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« Je vous envoie, en attendant, la lettre sur Jean-Jacques que vous me demandiez, et que j’ai enfin retrouvée ; » il semble bien qu’il s’agisse de la Lettre au docteur Pansophe. Beuchot l’entend de la Lettre à M.  Tronchin-Calendrin, du 13 novembre 1765, où il est, en effet, question de J.-J. Rousseau, mais qui n’est pas une « lettre sur J.-J. ».

Tous les contemporains furent unanimes à attribuer à Voltaire la Lettre au docteur Pansophe. Marmontel, dans le Mercure français ; Grimm, dans la Correspondance littéraire[1] sont aussi affirmatifs que Fréron[2]. Pour Jean-Jacques Rousseau, le principal intéressé, cela ne fit jamais de doute : « Dans le même temps à peu près…, dit-il, parut une lettre de M.  de Voltaire a moi adressée (au docteur Pansophe) avec une traduction anglaise qui renchérit sur l’original. Le noble objet de ce spirituel ouvrage est de m’attirer le mépris et la haine de ceux chez qui je me suis réfugié. » (Lettre à David Hume.) Il s’exprime de même dans ses lettres à ses amis d’Ivernois et du Peyrou, du 10 mai et du 31 mai 1766.

Ce fut Voltaire qui chercha à rejeter la paternité de la Lettre au docteur Pansophe sur l’abbé Coyer d’abord, et sur Borde ensuite. Le premier protesta. Il écrit le 2 janvier 1767 à Guy, libraire de J.-J. Rousseau : « Monsieur Guy, quoique je vous aie parlé hier de l’imputation que M.  de Voltaire m’a faite de la Lettre au docteur Pansophe, je crains de ne vous l’avoir pas assez dit : quand vous écrirez à M.  Rousseau, dites-lui que M.  de Voltaire est l’unique source de ce bruit ; que c’est lui qui l’a répandu par ses lettres à Paris et à Londres, et qu’il a reconnu lui-même son erreur dans la lettre que je vous ai communiquée : « Après avoir été informé, dit-il, que la Lettre au docteur Pansophe est de M.  de Bordes, de l’Académie de Lyon, etc. » Effectivement, cet académicien était à Londres lorsque la lettre a été imprimée en anglais. Vous savez l’admiration que j’ai toujours eue pour les grands talents de M.  Rousseau, votre ami, et que j’ai toujours désapprouvé les persécutions qu’on lui suscite dans son malheur. Je serais très-fâché qu’on me mît au nombre de ses persécuteurs, et, d’ailleurs, je n’ai jamais emprunté le nom de personne. Je me sers du mien, ou je garde l’anonyme[3]. »

Reste donc le Lyonnais Borde (Voltaire écrit toujours Bordes, mais à tort). On peut voir dans la Correspondance[4] que Borde, comme l’abbé Coyer, niait être l’auteur de la Lettre que Voltaire tenait à lui faire endosser, et tout porte à penser que son désaveu était parfaitement sincère. Charles Borde a fait contre Rousseau des satires qui sont bien authentiquement de lui : la Prédiction tirée d’un vieux manuscrit, la Profession de foi philoso-

  1. « Je n’ai pas encore pu vaincre, dit Grimm (novembre 1766), la conviction intérieure qui me crie qu’elle (la Lettre) appartient à M.  de Voltaire, malgré toutes ses protestations. »
  2. Voyez l’Année littéraire, 1766, tome VII, pages 19 et 56, et surtout page 175.
  3. Œuvres diverses de J.-J. Rousseau, citoyen de Genève. Neufchâtel, 1768. 8 volumes, tome VII. — Œuvres complètes de l’abbé Coyer, 7 volumes in-12, t. VII, pages 463-464.
  4. Lettre à Borde, du 15 décembre 1766.