Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/30

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contre la comédie avec la dévotion d’un capucin, et vous avez fait de méchantes comédies. Vous avez regardé comme une chose abominable qu’un satrape ou un duc eût du superflu, et vous avez copié de la musique pour des satrapes ou des ducs qui vous payaient avec ce superflu. Vous avez barbouillé un roman ennuyeux, où un pédagogue suborne honnêtement sa pupille en lui enseignant la vertu ; et la fille modeste couche honnêtement avec le pédagogue ; et elle souhaite de tout son cœur qu’il lui fasse un enfant ; et elle parle toujours de sagesse avec son doux ami ; et elle devient femme, mère, et la plus tendre amie d’un époux qu’elle n’aime pourtant pas ; et elle vit et meurt en raisonnant, mais sans vouloir prier Dieu. Docteur Pansophe, vous vous êtes fait le précepteur d’un certain Émile, que vous formez insensiblement par des moyens impraticables ; et pour faire un bon chrétien, vous détruisez la religion chrétienne. Vous professez partout un sincère attachement à la révélation, en prêchant le déisme, ce qui n’empêche pas que chez vous les déistes et les philosophes conséquents ne soient des athées. J’admire, comme je le dois, tant de candeur et de justesse d’esprit ; mais permettez-moi, de grâce, de croire en Dieu. Vous pouvez être un sophiste, un mauvais raisonneur, et par conséquent un écrivain pour le moins inutile, sans que je sois un athée. L’Être souverain nous jugera tous deux ; attendons humblement son arrêt. Il me semble que j’ai fait de mon mieux pour soutenir la cause de Dieu et de la vertu, mais avec moins de bile et d’emportement que vous. Ne craignez-vous pas que vos inutiles calomnies contre les philosophes et contre moi ne vous rendent désagréable aux yeux de l’Être suprême, comme vous l’êtes déjà aux yeux des hommes ?

Vos Lettres de la montagne sont pleines de fiel ; cela n’est pas bien, Jean-Jacques. Si votre patrie vous a proscrit injustement, il ne faut pas la maudire ni la troubler. Vous avez certes raison de dire que vous n’êtes point philosophe. Le sage philosophe Socrate but la ciguë en silence : il ne fit pas de libelles contre l’aréopage ni même contre le prêtre Anitus, son ennemi déclaré ; sa bouche vertueuse ne se souilla pas par des imprécations : il mourut avec toute sa gloire et sa patience ; mais vous n’êtes pas un Socrate ni un philosophe.

Docteur Pansophe, permettez qu’on vous donne ici trois leçons, que la philosophie vous aurait apprises : une leçon de bonne foi, une leçon de bon sens, et une leçon de modestie.

Pourquoi dites-vous que le bonhomme si mal nommé Grégoire