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DE MILORD BOLINGBROKE.


terie qui entasse beaucoup de faits, et qui possède quelques langues étrangères. Son Traité de la Vérité de la religion chrétienne est superficiel, sec, aride, et aussi pauvre en raisonnement qu’en éloquence, supposant toujours ce qui est en question, et ne le prouvant jamais. Il pousse même quelquefois la faiblesse du raisonnement jusqu’au plus grand ridicule.

Connaissez-vous, milord, rien de plus impertinent que les preuves qu’il donne du jugement dernier au chapitre XXII de son premier livre ? Il prétend que l’embrasement de l’univers est annoncé dans Hystaspe et dans les sibylles. Il fortifie ce beau témoignage des noms de deux grands philosophes, Ovide et Lucain. Enfin il pousse l’extravagance jusqu’à citer des astronomes, qu’il appelle astrologues, lesquels, dit-il, ont remarqué que le soleil s’approche insensiblement de la terre, ce qui est un acheminement à la destruction universelle[1]. Certainement ces astrologues avaient très-mal remarqué ; et Grotius les citait bien mal à propos.

Il s’avise de dire, au chapitre XIV du premier livre, qu’une des grandes preuves de la vérité et de l’antiquité de la religion des Juifs était la circoncision. C’est une opération, dit-il, si douloureuse, et qui les rendait si ridicules aux yeux des étrangers, qu’ils n’en auraient pas fait le symbole de leur religion s’ils n’avaient pas su que Dieu l’avait expressément ordonnée.

Il est pourtant vrai que les Ismaélites et les autres Arabes, les Égyptiens, les Éthiopiens, avaient pratiqué la circoncision longtemps avant les Juifs, et qu’ils ne pouvaient se moquer d’une coutume que ces Juifs avaient prise d’eux.

Il s’imagine démontrer la vérité de la secte juive en faisant une longue énumération des peuples qui croyaient l’existence des âmes et leur immortalité. Il ne voit pas que c’est cela même qui démontre invinciblement la grossièreté stupide des Juifs, puisque, dans leur Pentateuque, non-seulement l’immortalité de l’âme est inconnue, mais le mot hébreu qui peut répondre au mot âme ne signifie jamais que la vie animale.

C’est avec le même discernement que Grotius, au chapitre XVI, livre Ier, pour rendre l’histoire de Jonas vraisemblable, cite un mauvais poète grec, Lycophron, selon lequel Hercule demeura trois

  1. Il n’est pas impossible qu’en vertu des perturbations que les planètes causent dans l’orbite de la terre, elle ne se rapproche continuellement du soleil, qu’il n’existe pour la terre une équation séculaire. Cette question ne peut être encore décidée, et il s’en fallait beaucoup qu’on pût en savoir quelque chose du temps de Grotius. (K.)