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LETTRE

Eusèbe de Césarée voulut, deux siècles après, faire dans une église, en faveur de Constantin, ce que Pline avait fait en faveur de Trajan dans le Capitole. Je ne sais si le héros d’Eusèbe est comparable en rien à celui de Pline ; mais je sais que l’éloquence de l’évêque est un peu différente de celle du consul :

« Dieu, dit-il, a donné des qualités à la matière ; d’abord il l’a embellie par le nombre de deux, ensuite il l’a perfectionnée par le nombre de trois, en lui donnant la longueur, la largeur et la profondeur ; puis, ayant doublé le nombre de deux, il s’en est formé les quatre éléments. Ce nombre de quatre a produit celui de dix ; trois fois dix ont fait un mois, etc. ; la lune, ainsi parée de trois fois dix unités, qui font trente, reparaît toujours avec un éclat nouveau : il est donc évident que notre grand empereur Constantin est le digne favori de Dieu, puisqu’il a régné trente années. »

C’est ainsi que raisonne l’évêque, auteur de la Préparation évangélique, dans un discours pour le moins aussi long que celui de Pline le Jeune.

En général, nous ne louons aujourd’hui les grands en face que très-rarement, et encore ce n’est que dans des épîtres dédicatoires qui ne sont lues de personne, pas même de ceux à qui elles sont adressées.

La méthode des oraisons funèbres eut un grand cours dans le beau siècle de Louis XIV. Il s’éleva un homme éloquent[1], né pour ce genre d’écrire, qui fit non-seulement supporter ses déclamations, mais qui les fit admirer. Il avait l’art de peindre avec la parole. Il savait tirer de grandes beautés d’un sujet aride. Il imitait ce Simonide qui célébrait les dieux quand il avait à louer des personnages médiocres.

Il est vrai qu’on voit trop souvent un étrange contraste entre les couleurs vraies de l’histoire et le vernis brillant des oraisons funèbres. Lisez l’éloge de Michel Le Tellier, chancelier de France, dans Bossuet : c’est un sage, c’est un juste ; voyez ses actions dans les Lettres de madame de Sévigné : c’est un courtisan intrigant et dur, qui trahit la cour dans le temps de la Fronde, et ensuite ses amis pour la cour ; qui traita Fouquet, dans sa prison, avec la cruauté d’un geôlier, qui le jugea avec barbarie, et qui mendia des voix pour le condamner à la mort. Il n’ouvrait jamais dans le conseil que des avis tyranniques. Le comte de Grammont, en le voyant sortir du cabinet du roi, le comparait à une

  1. Bossuet.