Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/32

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crimes, et que vous blâmez si fortement ces crimes dans votre plan ridicule d’une paix perpétuelle. Il n’y a certainement pas de vertu à conquérir la terre. Pourquoi, s’il vous plaît, faites-vous dire à Curius, comme une maxime respectable, qu’il aimait mieux commander à ceux qui avaient de l’or que d’avoir de l’or ? C’est une chose en elle-même indifférente d’avoir de l’or ; mais c’est un crime de vouloir, comme Curius, commander injustement à ceux qui en ont. Vous n’avez pas senti tout cela, docteur Pansophe, parce que vous aimez mieux faire de bonne prose que de bons raisonnements. Repentez-vous de cette mauvaise morale, et apprenez la logique.

Mon ami Jean-Jacques, ayez de la bonne foi. Vous qui attaquez ma religion, dites-moi, je vous prie, quelle est la vôtre ? Vous vous donnez, avec votre modestie ordinaire, pour le restaurateur du christianisme en Europe ; vous dites que la religion, dècréditée en tout lieu, avoit perdu son ascendant jusque sur le peuple, etc. Vous avez en effet décrié les miracles de Jésus, comme l’abbé de Prades, pour relever le crédit de la religion. Vous avez dit que l’on ne pouvait s’empêcher de croire l’Évangile de Jésus, parce qu’il était incroyable ! ainsi Tertullien disait hardiment qu’il était sûr que le Fils de Dieu était mort, parce que cela était impossible : Mortuus est Dei Filius ; hoc certum est quia impossibile. Ainsi, par un raisonnement similaire, un géomètre pourrait dire qu’il est évident que les trois angles d’un triangle ne sont pas égaux à deux droits, parce qu’il est évident qu’ils le sont. Mon ami Jean-Jacques, apprenez la logique, et ne prenez pas, comme Alcibiade, les hommes pour autant de têtes de choux.

C’est sans contredit un fort grand malheur de ne pas croire à la religion chrétienne, qui est la seule vraie entre mille autres qui prétendent aussi l’être : toutefois, celui qui a ce malheur peut et doit croire en Dieu. Les fanatiques, les bonnes femmes, les enfants et le docteur Pansophe, ne mettent point de distinction entre l’athée et le déiste. Jean-Jacques ! vous avez tant promis à Dieu et à la vérité de ne pas mentir ; pourquoi mentez-vous contre votre conscience ? Vous êtes, à ce que vous dites, le seul auteur de votre siècle et de plusieurs autres, qui ait écrit de bonne foi. Vous avez écrit sans doute de bonne foi que la loi chrétienne est, au fond, plus nuisible qu’utile à la forte constitution d’un État ; que les vrais chrétiens sont faits pour être esclaves, et sont lâches ; qu’il ne faut pas apprendre le catéchisme aux enfants, parce qu’ils n’ont pas l’esprit de croire en Dieu, etc. Demandez à tout le monde si ce n’est pas le déisme tout pur : donc vous êtes athée ou chrétien comme