Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
LETTRE

les orateurs et indisposé le public, soit que son Panégyrique, prononcé en 1671 publiquement par Pellisson à l’Académie, fût en effet plus éloquent que toutes les oraisons composées après sa mort ; soit plutôt que les beaux jours de son règne, l’éclat de sa gloire, se répandît sur l’ouvrage de Pellisson même. Mais ce qui fut honorable à Louis XIV, c’est que, de son vivant, on prononça douze éloges de ce monarque dans douze villes d’Italie[1]. Ils lui furent envoyés par le marquis Zampieri, dans une reliure d’or. Cet hommage singulier et unanime rendu par des étrangers, sans crainte et sans espérance, était le prix de l’encouragement que Louis XIV avait donné dans l’Europe aux beaux-arts, dont il était alors l’unique protecteur.

Un académicien français[2] fit, en 1748, le panégyrique de Louis XV. Cette pièce a cela de singulier que l’on n’y voit aucune adulation, pas une seule phrase qui sente le déclamateur ou le faiseur de dédicace. L’auteur ne loue que par les faits. Le roi de France venait de finir une guerre dans laquelle il avait gagné deux batailles en personne, et de conclure une paix dans laquelle il ne voulut jamais stipuler pour lui le moindre avantage. Cette conduite, supérieure à la politique ordinaire, n’eût pas été célébrée par Machiavel ; mais elle le fut par un citoyen philosophe. Ce citoyen étant sujet du monarque auquel il rendait justice, craignit que sa qualité de sujet ne le fît passer pour flatteur ; il ne se nomma pas : l’ouvrage fut traduit en latin, en espagnol, en italien, en anglais[3]. On ignora longtemps en quelle langue il avait d’abord été écrit ; l’auteur fut inconnu, et probablement le prince ignore encore quel fut l’homme obscur qui fit cet éloge désintéressé.

Vous voulez, monsieur, prononcer dans votre Académie le panégyrique de l’impératrice de Russie ; vous le pouvez avec d’autant plus de bienséance et de dignité que, n’étant point son sujet, vous lui rendrez librement les mêmes honneurs que le marquis Zampieri rendit à Louis XIV.

Elle se signale précisément comme ce monarque, par la protection qu’elle donne aux arts, par les bienfaits qu’elle a répandus hors de son empire, et surtout par les nobles secours dont elle a honoré l’innocence des Calas et des Sirven, dans des pays qui n’étaient pas connus de ses anciens prédécesseurs.

  1. Voyez tome XIV, page 444.
  2. Voltaire lui-même ; voyez tome XXIII, page 263.
  3. Voyez la note, tome XXIII, page 264.