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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/330

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HOMÉLIE

dans leurs discours ; tous les hommes le crient dans les maux dont ils sont les victimes.

Quel exécrable soulagement prétendez-vous donner à des malheureux persécutés et calomniés, expirant dans les tourments, en leur disant : Tout est bien ; vous n’avez rien à espérer de mieux ? Ce serait un discours à tenir à ces êtres qu’on suppose éternellement coupables, et qu’on dit nécessairement condamnés avant le temps à des supplices éternels.

Le stoïcien[1] qu’on prétend avoir dit dans un violent accès de goutte : Non, la goutte n’est point un mal, avait un orgueil moins absurde que ces prétendus philosophes, qui, dans la pauvreté, dans la persécution, dans le mépris, dans toutes les horreurs de la vie la plus misérable, ont encore la vanité de crier : Tout est bien. Qu’ils aient de la résignation, à la bonne heure, puisqu’ils feignent de ne vouloir pas de compassion ; mais qu’en souffrant, et en voyant presque toute la terre souffrir, ils disent : Tout est bien, sans aucune espérance de mieux, c’est un délire déplorable.

Supposerons-nous enfin qu’un Être suprême nécessairement bon abandonne la terre à quelque être subalterne qui la ravage, à un geôlier qui nous met à la torture ? Mais c’est faire de Dieu un tyran lâche, qui, n’osant commettre le mal par lui-même, le fait continuellement commettre par ses esclaves.

Quel parti nous reste-t-il donc à prendre ? N’est-ce pas celui que tous les sages de l’antiquité embrassèrent dans les Indes, dans la Chaldée, dans l’Égypte, dans la Grèce, dans Rome ? Celui de croire que Dieu nous fera passer de cette malheureuse vie à une meilleure, qui sera le développement de notre nature ? Car enfin il est clair que nous avons éprouvé déjà différentes sortes d’existences. Nous étions avant qu’un nouvel assemblage d’organes nous contint dans la matrice ; notre être pendant neuf mois fut très-différent de ce qu’il était auparavant ; l’enfance ne ressembla point à l’embryon ; l’âge mûr n’eut rien de l’enfance ; la mort peut nous donner une manière différente d’exister.

Ce n’est là qu’une espérance, me crient des infortunés qui sentent et qui raisonnent ; vous nous renvoyez à la boîte de Pandore ; le mal est réel, et l’espérance peut n’être qu’une illusion : le malheur et le crime assiègent la vie que nous avons, et vous nous parlez d’une vie que nous n’avons pas, que nous n’aurons peut-être pas, et dont nous n’avons aucune idée. Il n’est aucun

  1. Posidonius, le même qui est, avec Lucrèce, interlocuteur des Dialogues, tome XXIV, pages 57-70.