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HOMÉLIE

toutes les vérités à la fois, et que nous nous traînons à pas lents vers quelques-unes. S’il n’y a pas deux sortes de vérité dans la même proposition, pourquoi y aurait-il deux sortes de justice dans la même action ? Nous ne pouvons comprendre la justice de Dieu que par l’idée que nous avons de la justice. C’est en qualité d’êtres pensants que nous connaissons le juste et l’injuste. Dieu infiniment pensant doit être infiniment juste.

Voyons du moins, mes frères, combien cette croyance est utile, combien nous sommes intéressés à la graver dans tous les cœurs.

Nulle société ne peut subsister sans récompense et sans châtiment. Cette vérité est si sensible et si reconnue que les anciens Juifs admettaient au moins des peines temporelles. « Si vous prévariquez, dit leur loi[1], le Seigneur vous enverra la faim et la pauvreté, de la poussière au lieu de pluie… des démangeaisons incurables au fondement… des ulcères malins dans les genoux et dans les jambes… Vous épouserez une femme afin qu’un autre couche avec elle, etc. »

Ces malédictions pouvaient contenir un peuple grossier dans le devoir ; mais il pouvait arriver aussi qu’un homme coupable des plus grands crimes n’eût point d’ulcères dans les jambes, et ne languît point dans la pauvreté et dans la famine. Salomon devint idolâtre, et il n’est point dit qu’il fut puni par aucun de ces fléaux. On sait assez que la terre est couverte de scélérats heureux et d’innocents opprimés. Il fallut donc nécessairement recourir à la théologie des nations plus nombreuses et plus policées, qui longtemps auparavant avaient posé pour fondement de leur religion des peines et des récompenses, dans le développement de la nature humaine, qui est probablement une vie nouvelle.

Il semble que cette doctrine soit un cri de la nature, que tous les anciens peuples avaient écouté, et qui ne fut étouffé qu’un temps chez les Juifs, pour retentir ensuite dans toute sa force.

Il y a, chez tous les peuples qui font usage de leur raison, des opinions universelles qui paraissent empreintes par le maître de nos cœurs. Telle est la persuasion de l’existence d’un Dieu et de sa justice miséricordieuse ; tels sont les premiers principes de morale, communs aux Chinois, aux Indiens, et aux Romains, et qui n’ont jamais varié, tandis que notre globe a été bouleversé mille fois.

  1. Deutéronome, XXVIII, 20-30.