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CHAPITRE II.

Voilà comme les voyageurs prennent probablement tous les jours un abus de la loi pour la loi même, une grossière coutume du bas peuple pour un usage de la cour. J’ai entendu souvent mon oncle parler sur ce grand sujet avec une extrême édification. Il disait que, sur mille quintaux pesant de relations et d’anciennes histoires, on ne trierait pas dix onces de vérités.

Remarquez, s’il vous plaît, mon cher lecteur, la malice du paillard qui outrage si clandestinement la mémoire de mon oncle ; il ajoute au texte sacré de Baruch ; il le falsifie pour établir son b..... dans la cathédrale de Babylone même. Le texte sacré de l’apocryphe Baruch[1] porte, dans la Vulgate : Mulieres autem circumdatæ funibus in viis sedent. Notre ennemi sacrilége traduit : « Des femmes environnées de cordes sont assises dans les allées du temple. » Le mot temple n’est nulle part dans le texte.

Peut-on pousser la débauche au point de vouloir qu’on paillarde ainsi dans les églises ? Il faut que l’ennemi de mon oncle soit un bien vilain homme.

S’il avait voulu justifier la paillardise par de grands exemples, il aurait pu choisir ce fameux droit de prélibation, de marquette, de jambage, de cuissage, que quelques seigneurs de châteaux s’étaient arrogé dans la chrétienté, dans le commencement du beau gouvernement féodal. Des barons, des évêques, des abbés, devinrent législateurs, et ordonnèrent que, dans tous les mariages autour de leurs châteaux, la première nuit des noces serait pour eux. Il est bien difficile de savoir jusqu’où ils poussaient leur législation ; s’ils se contentaient de mettre une cuisse dans le lit de la mariée, comme quand on épousait une princesse par procureur, ou s’ils y mettaient les deux cuisses. Mais, ce qui est avéré, c’est que ce droit de cuissage, qui était d’abord un droit de guerre, a été vendu enfin aux vassaux par les seigneurs, soit séculiers, soit réguliers, qui ont sagement compris qu’ils pourraient, avec l’argent de ce rachat, avoir des filles plus jolies.

Mais surtout remarquez, mon cher lecteur, que ces coutumes bizarres, établies sur une frontière par quelques brigands, n’ont rien de commun avec les lois des grandes nations ; que jamais le droit de cuissage n’a été approuvé par nos tribunaux ; et jamais les ennemis de mon oncle, tout acharnés qu’ils sont, ne trouveront une loi babylonienne qui ait ordonné à toutes les dames de la cour de coucher avec les passants.

  1. vi, 42.