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LETTRE
DE M. DE VOLTAIRE À M. HUME[1].

Ferney, 24 octobre 1766.

J’ai lu, monsieur, les pièces[2] du procès que vous avez eu à soutenir par-devant le public contre votre ancien protégé. J’avoue que la grande âme de Jean-Jacques a mis au jour la noirceur avec laquelle vous l’avez comblé de bienfaits ; et c’est en vain qu’on a dit que c’est le procès de l’ingratitude contre la bienfaisance.

Je me trouve impliqué dans cette affaire. Le sieur Rousseau m’accuse de lui avoir écrit en Angleterre une lettre[3] dans laquelle je me moque de lui. Il a accusé M. d’Alembert du même crime.

Quand nous serions coupables au fond de notre cœur, M. d’Alembert et moi, de cette énormité, je vous jure que je ne le suis point de lui avoir écrit. Il y a sept ans que je n’ai eu cet honneur ; je ne connais point la lettre dont il parle, et je vous jure que si j’avais fait quelque mauvaise plaisanterie sur M. Jean-Jacques Rousseau, je ne la désavouerais pas.

Il m’a fait l’honneur de me mettre au nombre de ses ennemis et de ses persécuteurs[4]. Intimement persuadé qu’on doit lui élever une statue, comme il le dit dans la lettre polie et décente de Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève, à Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, il pense que la moitié de l’univers est occupée à dresser cette statue sur son piédestal, et l’autre moitié à la renverser.

Non-seulement il m’a cru iconoclaste, mais il s’est imaginé

  1. Nous avons dit, dans notre Avertissement en tête du tome XXII, page IV, pourquoi nous insérions cette lettre à cette place.
  2. Exposé succinct de la contestation qui s’est élevée entre M. Hume et M. Rousseau, avec les pièces justificatives, traduit par Suard, avec des additions.
  3. La Lettre au docteur Pansophe.
  4. Dans la lettre du 28 mai 1764.