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SUR LA MODESTIE DE WARBURTON.

dit, on me demande qui est M. Toxotès, et on ne m’écoute pas. Je remarque, dans l’amertume de mon cœur, que toutes les disputes littéraires ont une pareille destinée. Le monde est devenu bien tiède : une sottise ne peut plus être célèbre ; elle est étouffée le lendemain par cent sottises qui cèdent la place à d’autres. Les jésuites sont heureux : on parlera d’eux longtemps, depuis La Rochelle jusqu’à Macao. Vanitas vanitatum[1].



CHAPITRE XVII.
sur la modestie de warburton, et sur son système antimosaïque.

La nature de l’homme est si faible, et on a tant d’affaires dans cette vie, que j’ai oublié, en parlant de ce cher Warburton, de remarquer combien cet évêque serait pernicieux à la religion chrétienne, et à toute religion, si mon oncle ne s’était pas opposé vigoureusement à sa hardiesse.

« Les anciens sages, dit Warburton[2], crurent légitime et utile au public de dire le contraire de ce qu’ils pensaient. »

«[3]L’utilité, et non la vérité, était le but de la religion. »

Il emploie un chapitre entier à fortifier ce système par tous les exemples qu’il peut accumuler.

Remarquez que, pour prouver que les Juifs étaient une nation instruite par Dieu même, il dit que la doctrine de l’immortalité de l’âme et d’un jugement après la mort est d’une nécessité absolue, et que les Juifs ne la connaissaient pas. « Tout le monde, dit-il (all mankind), et spécialement les nations les plus savantes et les plus sages de l’antiquité, sont convenues de ce principe[4]. »

Voyez, mon cher lecteur, quelle horreur et quelle erreur dans ce peu de paroles qui font le sujet de son livre. Si tout l’univers, et particulièrement les nations les plus sages et les plus savantes, croyaient l’immortalité de l’âme, les Juifs, qui ne la croyaient pas, n’étaient donc qu’un peuple de brutes et d’insensés que Dieu ne conduisait pas. Voilà l’horreur dans un prêtre qui insulte les pauvres laïques. Hélas ! que n’eût-il point dit contre un laïque qui eût avancé les mêmes propositions ! Voici maintenant l’erreur.

C’est que, du temps que les Juifs étaient une petite horde de

  1. Ecclésiaste, i, 2.
  2. Tome II, page 89. (Note de Voltaire.)
  3. Tome II, page 91. (Id.)
  4. Tome I, page 87. (Id.)