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FRAGMENT DES INSTRUCTIONS

pensez que Dieu a fait l’univers, comme vous croyez, si j’ose me servir de cette faible comparaison, que le palais que vous habitez a été élevé par le roi votre grand-père. Vous laissez les taupes enterrées sous vos gazons nier, si elles l’osent, l’existence du soleil.

Toute la nature vous a démontré l’existence du Dieu suprême : c’est à votre cœur à sentir l’existence du Dieu juste. Comment pourriez-vous être juste, si Dieu ne l’était pas ? Et comment pourrait-il l’être, s’il ne savait ni punir ni récompenser ?

Je ne vous dirai pas quel sera le prix et quelle sera la peine. Je ne vous répéterai point : « Il y aura des pleurs[1] et des grincements de dents, » parce qu’il ne m’est pas démontré qu’après la mort nous ayons des yeux et des dents. Les Grecs et les Romains riaient de leurs furies, les chrétiens se moquent ouvertement de leurs diables, et Belzébuth n’a pas plus de crédit que Tisiphone. C’est une très-grande sottise de joindre à la religion des chimères qui la rendent ridicule. On risque d’anéantir toute religion, dans les esprits faibles et pervers, quand on déshonore celle qu’on leur annonce par des absurdités. Il y a une ineptie cent fois plus horrible, c’est d’attribuer à l’Être suprême des injustices, des cruautés, que nous punirions du dernier supplice dans les hommes.

Servez Dieu par vous-même, et non sur la foi des autres. Ne le blasphémez jamais ni en libertin ni en fanatique. Adorez l’Être suprême en prince, et non en moine. Soyez résigné comme Épictète, et bienfaisant comme Marc-Aurèle.

II.

Parmi la multitude des sectes qui partagent aujourd’hui le monde, il en est une qui domine dans cinq ou six provinces de l’Europe, et qui ose se dire universelle[2], parce qu’elle a envoyé des missionnaires en Amérique et en Asie. C’est comme si le roi de Danemark s’intitulait seigneur du monde entier, parce qu’il possède un établissement sur la côte de Coromandel et deux petites îles dans l’Amérique.

Si cette Église s’en tenait à cette vanité de s’appeler universelle dans le coin du monde qu’elle occupe, ce ne serait qu’un ridicule ; mais elle pousse la témérité, disons mieux, l’insolence, jusqu’à dévouer aux flammes éternelles quiconque n’est pas dans

  1. Matth., viii, 12.
  2. Voyez, dans le présent volume, l’Avis à tous les Orientaux.