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SUR FRANÇOIS RABELAIS. 477

rue), ci-devant inquisiteur. Je lui fis la révérence, dit-il, en lui ùtant mon chapeau, et je lui dis : « Père, êtes-vous révérend ou n'êtes-vous pas révérend ? » Il me répondit : Je suis celui qui suis. Je lui dis alors : « Vous êtes maître Jacques Grande rue ; sacré char d'Élie, dis-je, comment diable êtes-vous à pied ? C'est un scandale : ce qui est ne doit pas se promener avec ses pieds en fange et en merde. » Il me répondit : Ils sont venus en chariots et sur chevaux, mais nous venons au nom du Seigneur. Je lui dis : (c Par le Seigneur il est grande pluie et grand froid. » Il leva les mains au ciel en disant : Rosée du ciel, tombez d'en haut, et c^ue les nuées du ciel pleurent le juste.

Il faut avouer que voilà précisément le style de Rabelais, et je ne doute pas qu'il n'ait eu sous les yeux ces Lettres des gens OBSCURS, lorsqu'il écrivit son Gargantua et son Pantagruel.

Le conte de la femme qui, ayant ouï dire que tous les bâtards étaient de grands hommes, alla vite sonner à la porte des corde- liers pour se faire faire un bâtard, est absolument dans le goût de notre maître François.

Les mêmes obscénités et les mêmes scandales fourmillent dans ces deux singuliers livres,

DES ANCIENNES FACÉTIES ITALIENNES QUI PRÉCÉDÈRENT RABELAIS.

L'Italie, dès le xiv" siècle, avait produit plus d'un exemple de cette licence. Voyez seulement dans Boccace^ la confession de Ser Ciappelletto à l'article delà mort. Son confesseur l'interroge ; il lui demande s'il n'est jamais tombé dans le péché d'orgueil. « Ah ! mon père, dit le coquin, j'ai bien peur de m être damné par un petit mouvement de complaisance en moi-même, en réfléchis- sant que j'ai gardé ma virginité toute ma vie. — Avez-vous été gourmand ? — Hélas ! oui, mon père; car outre les autres jours de jeûne ordonnés, j'ai toujours jeûné au pain et à l'eau trois fois par semaine ; mais j'ai mangé mon pain quelquefois avec tant d'appétit et de délice que ma gourmandise a sans doute déplu à Dieu. — Et l'avarice, mon fils? — Hélas! mon père, je suis coupable du péché d'avarice pour avoir fait quelquefois le com- merce, afin de donner tout mon gain aux pauvres. — Vous êtes- vous mis quelquefois en colère ? — Oh, tant! quand je voyais le service divin si négligé, et les pécheurs ne pas observer les com- mandements de Dieu, comme je me mettais en colère ! »

1. Première nouvelle de la première journée.

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