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DE LA PAIX

II.

Si on n’a pu bannir du monde le monstre de la guerre, on est parvenu à le rendre moins barbare : nous ne voyons plus aujourd’hui les Turcs faire écorcher un Bragadino[1], gouverneur de Famagouste, pour avoir bien défendu sa place contre eux. Si on fait un prince prisonnier, on ne le charge point de fers, on ne le plonge point dans un cachot, comme Philippe, surnommé Auguste, en usa avec Ferrand, comte de Flandre[2], et comme un Léopold d’Autriche traita plus lâchement encore notre Richard Cœur-de-Lion[3]. Les supplices de Conradin[4], légitime roi de Naples, et de son cousin, ordonnés par un tyran vassal, autorisés par un prêtre souverain, ne se renouvellent plus : il n’y a plus de Louis XI surnommé très-chrétien ou Phalaris, qui fasse bâtir des oubliettes, qui érige un taurobole dans les halles, et qui arrose de jeunes princes souverains[5] du sang de leur père. Nous ne voyons plus les horreurs de la rose rouge et de la rose blanche[6], ni les têtes couronnées tomber dans notre île sous la hache des bourreaux ; l’humanité semble succéder enfin à la férocité des princes chrétiens : ils n’ont plus la coutume de faire assassiner des ambassadeurs qu’ils soupçonnent ourdir quelques trames contre leurs intérêts, ainsi que Charles-Quint fit tuer les deux ministres de François Ier, Rincon et Frégose ; personne ne fait plus la guerre comme ce fameux bâtard du pape Alexandre VI, qui se servit du poison, du stylet, et de la main des bourreaux

    nant extrêmement rares, les auteurs des guerres étant souvent punis, on pourrait dire : Les hommes jouissent d’une paix perpétuelle, comme on dit qu’ils jouissent de la sûreté dans les États policés, quoiqu’il s’y commette quelquefois des assassinats.

    L’établissement d’une diète européane pourrait être très-utile pour juger différentes contestations sur la restitution des criminels, sur les lois du commerce, sur les principes d’après lesquels doivent être décidés certains procès où l’on invoque les lois de différentes nations. Les souverains conviendraient d’un code d’après lequel ces contestations seraient décidées, et s’engageraient à se soumettre à ses décisions, ou à en appeler à leur épée : condition nécessaire pour qu’un tel tribunal puisse s’établir, puisse être durable et utile. On peut persuader à un prince qui dispose de deux cent mille hommes qu’il n’est pas de son intérêt de défendre ses droits ou ses prétentions par la force ; mais il est absurde de lui proposer d’y renoncer. (K.)

  1. Voyez tome XII, pages 448 et 453.
  2. Voyez tome XII, page 421.
  3. Ibid., page 409.
  4. Ibid., pages 492-493.
  5. C’étaient les enfants du comte d’Armagnac. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XII, page 119.
  6. Voyez tome XII, page 205.