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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/116

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DE LA PAIX

de ces cloaques où il se nourrissait, passa-t-il dans les écoles d’Alexandrie, où ces demi-chrétiens demi-juifs enseignèrent ? Pourquoi s’établit-il bientôt dans les chaires épiscopales, et siégea-t-il enfin sur le trône à côté des rois, qui furent obligés de lui faire place, et qui souvent furent précipités par lui du haut de leur trône ? Avant que ce monstre naquît, jamais il n’y avait eu de guerres religieuses sur la terre ; jamais aucune querelle sur le culte. Rien n’est plus vrai, et les plus déterminés imposteurs qui écrivent encore aujourd’hui contre la tolérance n’oseraient contrarier cette vérité.

VI.

Les Égyptiens semblent être les premiers qui ont donné l’idée de l’intolérance ; tout étranger était impur chez eux, à moins qu’il ne se fît associer à leurs mystères ; on était souillé en mangeant dans un plat dont il s’était servi, souillé en le touchant, souillé même quelquefois en lui parlant. Ce misérable peuple, fameux seulement pour avoir employé ses bras à bâtir les pyramides, les palais et les temples de ses tyrans, toujours subjugué par tous ceux qui vinrent l’attaquer[1] a payé bien cher son intolérantisme, et est devenu le plus méprisé de tous les peuples après les Juifs.

VII.

Les Hébreux, voisins des Égyptiens, et qui prirent une grande partie de leurs rites, imitèrent leur intolérance, et la surpassèrent ; cependant il n’est point dit dans leurs histoires que jamais le petit pays de Samarie ait fait la guerre au petit pays de Jérusalem uniquement par principe de religion. Les Hébreux juifs ne dirent point aux Samaritains : Venez sacrifier sur la montagne Moriah, ou je vous tue ; les Juifs samaritains ne dirent point : Venez sacrifier à Garizim, ou je vous extermine. Ces deux peuples se détestaient comme voisins, comme hérétiques, comme gouvernés par de petits roitelets dont les intérêts étaient opposés ; mais, malgré cette haine atroce, on ne voit pas que jamais un habitant de Jérusalem ait voulu contraindre un citoyen de Samarie à changer de secte. Je consens qu’un imbécile me haïsse, mais je ne veux pas qu’il me subjugue et me tue. Le ministre Louvois disait aux plus savants hommes qui fussent en France : « Croyez à la transsubstantiation, dont je me moque entre les bras de Mme Dufresnoi, ou je vous ferai rouer. » Les Juifs, tout

  1. Voyez les notes, tome XVII, page 280 ; et XXV, pages 51-53.