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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/158

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CHAPITRE IX.

Au reste, il ne faut pas s’étonner qu’on ne trouve dans cette Cosmogonie de l’auteur phénicien aucun des noms cités dans la Genèse juive. Nul écrivain, nul peuple n’a connu les noms d’Adam, de Caïn, d’Abel, d’Énoch, de Mathusalem, de Noé. Si un seul de ces noms avait été cité par Sanchoniathon ou par quelque écrivain de Syrie ou de Chaldée, ou d’Égypte, l’historien Josèphe n’aurait pas manqué de s’en prévaloir. Il dit lui-même, dans sa Réponse à Apion, qu’il a consulté tous les auteurs distingués qui ont parlé de sa nation ; et, quelque effort qu’il fasse, il n’en peut trouver un seul qui parle des miracles de Moïse ; pas un seul qui rappelle un mot de la Genèse ou de l’Exode.

Ajoutons à ces preuves convaincantes que s’il y avait eu un seul mot, dans Sanchoniathon ou dans quelque autre auteur étranger, en faveur de l’histoire juive, Eusèbe, qui fait armes de tout dans sa Préparation évangélique, eût cité ce témoignage avec emphase. Mais ce n’est pas ici le lieu de pousser plus loin cette recherche ; il suffit de montrer que Sanchoniathon écrivit dans sa langue longtemps avant que les Juifs pussent seulement la prononcer.

Ce qui rend encore les fragments de Sanchoniathon très-recommandables, c’est qu’il consulta les prêtres les plus savants de son pays, et entre autres Gérombal, prêtre d’Iaho, dans la ville de Bérith. Ce nom d’Iaho, qui signifie Dieu, est le nom sacré qui fut, longtemps après, adopté par les Juifs.

L’ouvrage de Sanchoniathon est encore plus digne de l’attention du monde entier, en ce que sa Cosmogonie est tirée (selon son propre témoignage) des livres du roi d’Égypte Thaut, qui vivait, dit-il, huit cents ans avant lui, et que les Grecs ont depuis appelé Mercure. Nous n’avons guère de témoignages d’une antiquité plus reculée. Voilà sans contredit le plus beau monument qui nous reste dans notre Occident.

Quelques âmes timorées, effrayées de cette antiquité et de ce monument si antérieur à la Genèse, n’ont eu d’autre ressource que celle de dire que ces fragments étaient un livre supposé ; mais cette malheureuse évasion est assez détruite par la peine qu’Eusèbe a prise de les transcrire. Il en combat les principes ; mais il se donne bien de garde d’en combattre l’authenticité : elle était trop reconnue de son temps. Le livre était traduit en grec par un citoyen du pays même de Sanchoniathon. Pour peu qu’il y eût eu le moindre jour à soupçonner l’antiquité de ce livre, contraire en tout à la Bible, Eusèbe l’eût fait sans doute avec la plus grande force. Il ne l’a pas fait. Quelle plus éclatante preuve que l’aveu