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CHAPITRE XX.

quement par grossièreté et par ignorance ; c’est parce que leur législateur très-grossier n’en savait pas plus qu’eux. Quand nos docteurs se sont mis, dans les derniers temps, à lire les livres juifs avec quelque attention, ils ont été effrayés de voir que, dans les livres attribués à Moïse, il n’est jamais question d’une vie future. Ils se sont tournés de tous les sens pour tâcher de trouver dans le Pentateuque ce qui n’y est pas. Ils se sont adressés à Job, comme si Job avait écrit une partie du Pentateuque mais Job n’était pas Juif. L’auteur de la parabole de Job était incontestablement un Arabe qui demeurait vers la Chaldée. Le Satan qu’il fait paraître avec Dieu sur la scène suffit pour prouver que l’auteur n’était point Juif. Le mot de Satan ne se trouve dans aucun des livres du Pentateuque, ni même dans les Juges : ce n’est que dans le second livre des Rois que les Juifs nomment Satan pour la première fois[1].

D’ailleurs ce n’est qu’en interprétant ridiculement le livre de Job qu’on cherche à trouver quelque idée de l’immortalité de l’âme dans cet auteur chaldéen, qui écrivait très-longtemps avant que les Juifs eussent écrit leur Genèse. Job, accablé de ses maladies, de pauvreté, et encore plus des impertinents discours de ses amis et de sa femme, dit[2] que « Dieu sera son rédempteur, que ce rédempteur est vivant ; qu’il se relèvera un jour de la poussière sur laquelle il est couché ; qu’il espère sa guérison, que sa peau lui reviendra, qu’il reverra Dieu dans sa chair ». Il est clair que c’est un malade qui dit qu’il guérira. Il faut être aussi absurde que le sont nos commentateurs pour voir dans ce discours l’immortalité de l’âme et l’avénement de Jésus-Christ, Cette impertinence serait inconcevable si cent autres extravagances de ces messieurs ne l’emportaient encore sur celle-ci.

On a poussé le ridicule jusqu’à chercher dans des passages d’Isaïe et d’Ézéchiel cette immortalité de l’âme dont ils n’ont pas parlé plus que Job. On a tordu un discours de Jacob dans la Genèse. Lorsque les détestables patriarches ses enfants ont vendu leur frère Joseph, et viennent lui dire qu’il a été dévoré par des bêtes féroces, Jacob s’écrie[3] : Je n’ai plus qu’à mourir ; on me mettra dans la fosse avec mon fils. Cette fosse, disent les Calmet, est l’enfer ; donc Jacob croyait à l’enfer, et par conséquent à l’immortalité de l’âme. Ainsi donc, pauvres Calmet ! Jacob

  1. Ch. xix, v. 22. (Note de Voltaire.)
  2. Job, ch. xix, v. 25 et 26. (Id.)
  3. Genèse, xxxvii, 35.