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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/182

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CHAPITRE XXI.

térise davantage, c’est qu’ils sont encore les seuls dont la loi ait ordonné expressément de sacrifier des victimes humaines.

C’est le plus horrible effet des superstitions qui ont inondé la terre, que d’immoler des hommes à la Divinité. Mais cette abomination est bien plus naturelle qu’on ne croit. Les anciens actes de foi des Espagnols et des Portugais, qui, grâces au ciel et à de dignes ministres, ne se renouvellent plus[1] ; nos massacres d’Irlande, la Saint-Barthélemy de France, les croisades des papes contre les empereurs, et ensuite contre les peuples de la langue d’oc ; toutes ces épouvantables effusions de sang humain ont-elles été autre chose que des victimes humaines offertes à Dieu par des insensés et des barbares ?

On a cru dans tous les temps apaiser les dieux par des offrandes, parce qu’on calme souvent la colère des hommes en leur faisant des présents, et que nous avons toujours fait Dieu à notre image.

Présenter à Dieu le sang de nos ennemis, rien n’est plus simple ; nous les haïssons, nous nous imaginons que notre Dieu protecteur les hait aussi. Le pape Innocent III crut donc faire une action très-pieuse en offrant le sang des Albigeois à Jésus-Christ.

Il est aussi simple d’offrir à nos dieux ce que nous avons de plus précieux ; et il est encore plus naturel que les prêtres exigent de tels sacrifices, attendu qu’ils partagent toujours avec le ciel, et que leur part est la meilleure. L’or et l’argent, les joyaux sont très-précieux ; on en a toujours donné aux prêtres. Quoi de

  1. Depuis l’impression de cet ouvrage, l’Inquisition a repris en Espagne de nouvelles forces. Non-seulement un des plus savants jurisconsultes de l’Espagne, un médecin très-éclairé, M. Castelanos, et le célèbre Olavides, l’honneur et le bienfaiteur de son pays, ont été plongés dans les cachots du saint-office, et ont subi une humiliation publique, si pourtant il est au pouvoir du rebut de l’espèce humaine d’humilier ceux qui en sont la gloire et la consolation ; mais les inquisiteurs ont eu la barbarie, pour faire montre de leur puissance, de faire brûler vive une malheureuse femme accusée de quiétisme. Dans le même temps à peu près, l’Inquisition de Lisbonne ne condamnait qu’à la prison des hommes convaincus d’athéisme. C’est que l’Inquisition fait grâce de la vie à ceux qu’elle ne suppose pas relaps ; mais elle a dans son abominable procédure des moyens de trouver relaps tous ceux dont la mort est utile aux passions et à l’intérêt du grand inquisiteur.

    Dans un auto-da-fé solennel où le roi Charles II eut la faiblesse d’assister en 1680, et où on brûla vingt-une personnes, douze desquelles avaient des bâillons, le moine qui prononça le sermon eut l’insolence de parler des sacrifices humains offerts aux dieux du Mexique ; mais il assura que si ces sacrifices déplaisaient à Dieu dans Mexico, ceux du même genre qu’on offrait en Espagne lui étaient fort agréables. (K.) — Note antérieure à 1789.