Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
CHAPITRE XXXVIII.

d’apparence qu’on envoie Dieu dans le corps des gens en soufflant sur eux. Cette méthode était pourtant très-ancienne : l’âme était un souffle ; tous les prétendus sorciers soufflaient et soufflent encore sur ceux qu’ils imaginent ensorceler. On faisait entrer un malin esprit dans la bouche de ceux à qui on voulait nuire. Un malin esprit était un souffle ; un esprit bienfaisant était un souffle. Ceux qui inventèrent ces pauvretés n’avaient pas certainement beaucoup d’esprit, en quelque sens qu’on prenne ce mot si vague et si indéterminé.

Aurait-on jamais pu prévoir qu’on ferait un jour de ce mot souffle, vent, esprit, un être suprême, un Dieu, la troisième personne de Dieu, procédant du Père, procédant du Fils, n’ayant point la paternité, n’étant ni fait ni engendré ? Quel épouvantable nonsense !

Une grande objection contre cette secte naissante était : « Si votre Jésus est le verbe de Dieu, comment Dieu a-t-il souffert qu’on pendit son verbe ? » Ils répondirent à cette question assommante par des mystères encore plus incompréhensibles. Jésus était verbe, mais il était un second Adam ; or le premier Adam avait péché : donc le second devait être puni. L’offense était très-grande envers Dieu, car Adam avait voulu être savant, et pour le devenir il avait mangé une pomme. Dieu, étant infini, était irrité infiniment : donc il fallait une satisfaction infinie. Le verbe, en qualité de Dieu, était infini aussi : donc il n’y avait que lui qui pût satisfaire. Il ne fut pas pendu seulement comme verbe, mais comme homme. Il avait donc deux natures ; et de l’assemblage merveilleux de ces deux natures il résulta des mystères plus merveilleux encore.

Cette théologie sublime étonnait les esprits, et ne faisait tort à personne. Que des demi-Juifs adorassent le verbe ou ne l’adorassent pas, le monde allait son train ordinaire : rien n’était dérangé. Le sénat romain respectait les platoniciens, il admirait les stoïciens, il aimait les épicuriens, il tolérait les restes de la religion isiaque. Il vendait aux Juifs la liberté d’établir des synagogues au milieu de Rome, Pourquoi aurait-il persécuté des chrétiens ? Fait-on mourir les gens pour avoir dit que Jésus est un verbe ?

Le gouvernement romain était le plus doux de la terre. Nous avons déjà remarqué[1] que personne n’avait été jamais persécuté pour avoir pensé.

  1. Chap. xiii, page 156.