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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/29

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DE L’EMPEREUR JULIEN.

lui apprenant à connaître ce qui pouvait le rendre sage ; mais Dieu lui portait envie, car, lorsqu’il vit que l’homme était devenu capable de distinguer la vertu du vice, il le chassa du paradis terrestre, dans la crainte qu’il ne goûtât du bois de l’arbre de vie, en lui disant[1] : « Voici Adam, qui est devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal ; mais pour qu’il n’étende pas maintenant sa main, qu’il ne prenne pas du bois de la vie, qu’il n’en mange pas, et qu’il ne vienne pas à vivre toujours, l’Éternel Dieu le met hors du jardin d’Éden. » Qu’est-ce qu’une semblable narration ? On ne peut l’excuser qu’en disant qu’elle est une fable allégorique qui cache un sens secret. Quant à moi, je ne trouve dans tout ce discours que beaucoup de blasphèmes[2] contre la vraie essence et la vraie nature de Dieu, qui ignore que la femme qu’il donne pour compagne et pour secours à Adam sera la cause de son crime ; qui interdit à l’homme la connaissance du bien et du mal, la seule chose qui pût régler ses mœurs ; et qui craint que ce même homme, après avoir pris de l’arbre de vie, ne devienne immortel. Une pareille crainte et une envie semblable conviennent-elles à la nature de Dieu ?

Le peu de choses raisonnables que les Hébreux ont dites de l’essence de Dieu, nos pères, dès les premiers siècles, nous en ont instruits : et cette doctrine qu’ils s’attribuent est la nôtre. Moïse ne nous a rien appris de plus ; lui qui, parlant plusieurs fois des anges qui exécutent les ordres de Dieu, n’a rien osé nous dire, dans aucun endroit, de la nature de ces anges : s’ils sont créés, ou s’ils sont incréés, s’ils ont été faits par Dieu ou par une autre cause, s’ils obéissent à d’autres êtres. Comment Moïse a-t-il pu garder, sur tout cela, un silence obstiné, après avoir parlé si

  1. Genèse, ch. iii, v. 22. (Note de Voltaire.)
  2. Le mot de blasphème n’est point trop fort. Attribuer à Dieu des choses aussi injustes que ridicules, et dont on ne voudrait pas charger les derniers des hommes, c’est un véritable blasphème ; et si l’on y prend bien garde, l’histoire des Juifs est d’un bout à l’autre un blasphème continuel contre l’Être suprême. On y voit partout la protection du ciel accordée au meurtre, au larcin, à l’inceste. C’est pour protéger des voleurs que la mer s’ouvre ; c’est pour encourager le meurtre que le soleil et la lune s’arrêtent en plein midi ; c’est enfin de la prostituée Rahab, de l’impudente Ruth, de l’incestueuse Thamar, de l’adultère Bethsabée, qu’on fait descendre Jésus-Christ, afin qu’il change l’eau en vin à des noces pour des convives déjà ivres.

    On ose avancer que Dieu, dans tout le Pentateuque, ne commande pas une seule action juste et raisonnable. Oui, je défie qu’on m’en montre une seule. Misérables fanatiques, songez qu’une seule absurdité, une seule contradiction, une seule injustice suffirait pour décréditer, pour déshonorer ce livre. Et il en fourmille ! et on ose le supposer écrit par Dieu même ! Ô comble de la démence et de l’horreur ! (Id.)