Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
319
OU LES LOUANGES DE DIEU.

Oui, sans doute, elles sont machines, mais machines sentiment, machines à idées, machines plus ou moins pensantes, selon qu'elles sont organisées. Il y a de grandes différences entre leurs talents, comme il en est entre les nôtres. Quel est le chien de chasse, l'orang-outang, l'éléphant bien organisé qui n'est pas supérieur à nos imbéciles que nous renfermons, à nos vieux gourmands frappés d'apoplexie, traînant les restes d'une inutile vie dans l'abrutissement d'une végétation interrompue, sans mémoire, sans idées, languissant entre quelques sensations et le néant ? Quel est l'animal qui ne soit pas cent fois au-dessus de nos enfants nouveau-nés, chez qui Dieu cependant, selon nos théologiens, infusa une âme spirituelle et immortelle au bout de six semaines, dans l'utérus de leur mère ? Que dis-je ! quelle différence de nous-mêmes à nous-mêmes ! Quelle distance immense entre le jeune Newton inventant le calcul de l'infini, et Newton expirant sans connaissance, sans aucune trace de ce génie qui avait pesé les mondes ! C'est la suite des lois éternelles de la nature, que Newton lui-même ne put comprendre parce qu'il n'était pas Dieu. Adorons le grand Être dont ces lois émanent ; remercions-le d'avoir accordé pour quelques jours à nos organes le don de la pensée qui nous élève jusqu'à lui.

Un profond philosophe [1] et qui aurait saisi la vérité s'il n'avait voulu la mêler avec les mensonges des préjugés, a dit que nous voyons tout en Dieu. Mais c'est plutôt Dieu qui voit tout en nous, qui fait tout en nous, puisqu'il est nécessairement le grand, le seul, l'éternel ouvrier de toute la nature.

Comment pensons-nous ? comment sentons-nous ? Qui pourra nous le dire ? Dieu n'a pas mis (il faut le répéter sans cesse), Dieu n'a pas caché dans les plantes un être secret qui s'appelle végétation [2] ; elles végètent parce qu'il fut ainsi ordonné dans tous les siècles. Il n'est point dans l'animal une créature secrète qui s'appelle sensation ; le cerf court, l'aigle vole, le poisson nage, sans avoir besoin d'une substance inconnue, résidante en eux, qui les fasse voler, courir, et nager. Ce que nous avons nommé leur instinct est une faculté ineffable, inhérente dans eux par les lois ineffables du grand Être. Nous avons de même une faculté ineffable dans l'entendement humain ; mais il n'y a point d'être réel qui soit l'entendement humain, il n'en est point qui s'appelle la volonté. L'homme raisonne, l'homme désire, l'homme veut ;

  1. Malebranche, De la Recherche de la vérité.
  2. Voyez tome XVIII, page 65 ; XXIV, 68 ; et, ci-dessus, Tout en Dieu, page 92.