Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
DISCOURS

mêmes hommes. Ces lois sont humaines et douces chez les peuples qui sont portés à la douceur : elles sont dures et même cruelles chez ceux dont les mœurs sont féroces. Les différents législateurs, dans les instructions qu’ils ont données aux nations, se sont conformés à leurs idées ; ils ont fort peu ajouté et changé à leurs principales coutumes. C’est pourquoi les Scythes regardèrent Anacharsis comme un insensé, parce qu’il avait voulu introduire des lois contraires à leurs mœurs.

La façon de penser des différentes nations ne peut jamais être changée entièrement. L’on trouvera fort peu de peuples situés à l’occident, qui cultivent la philosophie et la géométrie, et qui même soient propres à ce genre d’étude, quoique l’empire romain ait étendu si loin ses conquêtes. Si quelques-uns des hommes les plus spirituels de ces nations sont parvenus sans étude à acquérir le talent de s’énoncer avec clarté et avec quelque grâce, c’est à la simple force de leur génie qu’ils en sont redevables. D’où vient donc la différence éternelle des mœurs, des usages, des idées des nations ?

Venons actuellement à la variété des langues, et voyons combien est fabuleuse la cause que Moïse lui donne. Il dit que les fils des hommes, ayant multiplié, voulurent faire une ville, et bâtir au milieu une grande tour[1] : Dieu dit alors qu’il descendrait, et qu’il confondrait leur langage. Pour qu’on ne me soupçonne pas d’altérer les paroles de Moïse, je les rapporterai ici[2]. « Ils dirent (les hommes) : Venez, bâtissons une ville et une tour

  1. L’empereur Julien nous paraît aujourd’hui bien bon d’avoir daigné réfuter la fable absurde de la tour de Babel. Mais comme celle des géants qui firent la guerre aux dieux, et qui entassèrent Ossa sur Pélion, n’est pas moins extravagante, il fait très-bien de les comparer l’une avec l’autre. La seule différence est que les Grecs et les Romains ne croyaient rien de leur mythologie, et que les chrétiens étaient persuadés de la leur. La mythologie n’était point la religion de la Grèce et de Rome ; mais, par un renversement d’esprit presque inconcevable, tous les livres juifs étaient devenus la religion des juifs et des chrétiens. Tout ce qu’un misérable scribe avait transcrit dans Jérusalem, et qui était compris dans le canon hébraïque, était réputé dicté par Dieu même. Ceux qu’on a depuis si ridiculement nommés païens ne tombèrent point dans cet excès qui déshonore la raison. Ils n’attribuèrent point aux dieux les fables absurdes d’Hésiode et d’Orphée. Les Métamorphoses d’Ovide n’ont jamais passé pour un livre sacré ; et, parmi nous, l’histoire de Loth couchant avec ses deux filles, sa femme Édith changée en statue de sel, et la tour de Babel, sont des ouvrages du Saint-Esprit.

    La première éducation de nos enfants est de leur apprendre ces sottises, qu’ils méprisent bientôt. Misérables que vous êtes ! apprenez-leur à connaître un seul Dieu, à l’aimer, à être justes. Voulez-vous qu’ils soient honnêtes gens, empêchez-les de lire la Bible. (Note de Voltaire.)

  2. Genèse, ch. xi, v. 4-8. (Id.)