Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LETTRE


DE L'AUTEUR DE LA TRAGEDIE DES GUÈBRES


AUX RÉDACTEURS DU JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE [1].

.

__________


MESSIEURS,

Dans votre Journal encyclopédique (dernière quinzaine d'août 1769), il a été dit, en parlant de la tragédie des Guèbres, ou la Tolérance, que « quoique dans la préface on assure qu'elle est d'un jeune auteur, il n'est pas possible de s'y méprendre, et que l'on y reconnaît aisément l'illustre écrivain à qui ce siècle doit toute sa gloire ». L'abondance de vos occupations ne vous a sans doute pas donné le loisir, messieurs, d'examiner cette pièce avec toute l'attention et le scrupule que vous avez soin d'apporter aux ouvrages de ce genre. Le titre séduit et en impose, et le mot de tolérance, que cette tragédie porte en tête, a tellement enchanté qu'on s'est persuadé qu'elle ne pouvait devoir sa naissance qu'à l'apôtre de cette douce morale. La réputation de cet homme célèbre doit être chère aux amateurs des lettres, à vous surtout, messieurs, qui en êtes les ministres. A ces titres, je me flatte que vous ne trouverez pas mauvais que, par la voie de votre journal, je désabuse le public sur l'attribution de cette pièce, et que je l'assure qu'elle est vraiment d'un jeune auteur qui mérite d'être encouragé. Sa morale, je le crois, est avouée du philosophe de Ferney ; mais le père de Mérope et de Zaïre, tout tolérant qu'il est, voudra-t-il adopter la tragédie des Guèbres ? Tolle, lege, dirai-je à tout connaisseur ; mettez-vous en garde, si vous le pouvez, contre l'enthousiasme qu'inspire la moins belle pièce dramatique de

  1. Beuchot a le premier inséré cette lettre dans les Œuvres de Voltaire ; elle avait été imprimée dans le Journal encyclopédique, second volume de mars 1770, page 460.