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AUX PARLEMENTS.


trouve dans la maison de l’accusé ; il n’interroge ni sa femme, ni aucun de ses sept enfants, ni une foule de voisins qui auraient tous rendu témoignage de l’innocence de ses mœurs. Il condamne ce vieillard à mourir sur la roue, après avoir été préalablement appliqué à la torture. Son bien est confisqué au profit du roi, comme si le roi avait besoin de la substance de cette famille. On envoie ce malheureux, chargé de fers, à la Conciergerie de Paris.

La Tournelle, surchargée de procès, et trop occupée, parce que son ressort était beaucoup trop vaste, confirme l’inique sentence avec une précipitation trop ordinaire : le malheureux était sans défenseur ; point d’avocat chargé de consoler les prisonniers, et prendre en main la cause des innocents (jurisprudence affreuse !) ; et vous remarquerez que le voyage de Bar à Paris, et de Paris à Bar, l’instruction, l’exécution, coûtent plus que les appointements des conseillers aux six nouveaux conseils souverains. Le condamné est brisé dans les tortures, rompu vif, et meurt sur la roue, en demandant au ciel une vengeance qu’on n’obtient point. Sa femme meurt désespérée ; ses enfants, dispersés, demandent l’aumône dans d’autres provinces.

Quelque temps après l’exécution, le voleur meurtrier est condamné prévôtalement pour d’autres crimes : il avoue qu’il est coupable de celui pour lequel l’innocent a péri.

On mande cette aventure horrible à un solitaire[1] ; on lui envoie des pièces probantes. Il écrit à un conseiller du parlement de Paris[2], né avec une belle âme, et qui était dans cet heureux âge de la jeunesse où le cœur s’ouvre à la sensibilité et à la compassion. Ce magistrat court au greffe criminel ; il trouve, après de longues recherches, un extrait de l’arrêt, sur un papier de minute. On promet de réhabiliter la mémoire du mort ; inutile cérémonie qui ne rend pas du pain à une famille vagabonde, transplantée avec sa honte en Hongrie, parmi tant d’autres familles lorraines. Cependant cette vaine formalité même est oubliée ; le torrent des affaires entraînait bientôt ailleurs tous les esprits, et la folie d’entacher les vivants[3] fit négliger ce qu’on devait aux morts.

Nous attesterons M. l’avocat général Séguier, dans la catastrophe du lieutenant général Lally. Il savait que ce brave homme n’était coupable ni de trahison ni de péculat : il conclut

  1. Voltaire lui-même ; voyez ci-après, page 428.
  2. D’Hornoy, neveu de Voltaire.
  3. Voyez la note 2 de la page 382.