Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/462

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toujours ! Il ouvrirait des abîmes sous mes pas, ou il engloutirait la ville où je suis né, ou il me livrerait pendant toute ma vie à la souffrance, et cela sans motif, sans raison, sans qu’il en résulte le moindre bien ! Non, mon Dieu, non. Être suprême, Être bienfaisant, je ne puis le croire, je ne puis te faire cette horrible injure.

On me dira peut-être que j’ôte à Dieu sa liberté : que sa puissance suprême m’en garde ! Faire tout ce qu’on peut, c’est exercer sa liberté pleinement. Dieu a fait tout ce qu’un Dieu pouvait faire. Il est beau qu’un Dieu ne puisse faire le mal.

XII. — Réponse à ceux qui objecteraient qu’on fait Dieu étendu, matériel, et qu’on l'incorpore avec la nature.

Quelques platoniciens me reprochent que j’ôte à Dieu sa simplicité, que je le suppose étendu, que je ne le distingue pas assez de la nature, que je suis plutôt les dogmes de Straton que ceux des autres philosophes.

Mon cher Cicéron, ni eux, ni vous, ni moi, ne savons ce que c’est que Dieu. Bornons-nous à savoir qu’il en existe un. Il n’est donné à l’homme de connaître ni de quoi les astres sont formés, ni comment est fait le maître des astres.

Que Dieu soit appelé être simple, j’y consens de tout mon cœur : simple ou étendu, je l’adorerai également ; mais je ne comprends pas ce que c’est qu’un être simple. Quelques rêveurs, pour me le faire entendre, disent qu’un point géométrique est un être simple ; mais un point géométrique est une supposition, une abstraction de l’esprit, une chimère. Dieu ne peut être un point géométrique ; je vois en lui, avec, Platon, l’éternel géomètre.

Pourquoi Dieu ne serait-il pas étendu, lui qui est dans toute la nature ? En quoi l’étendue répugne-t-elle à son essence ?

Si le grand Être intelligent et nécessaire opère sur l’étendue, comment agit-il où il n’est pas ? Et s’il est en tous les lieux où il agit, comment n’est-il pas étendu ?

Un être dont je pourrais nier l’existence dans chaque particule du monde, l’une après l’autre, n’existerait nulle part.

Un être simple et incompréhensible, c’est un mot vide de sens, qui ne rend Dieu ni plus respectable, ni plus aimable, ni plus puissant, ni plus raisonnable. C’est plutôt le nier que le définir.

On pourra me répondre que notre âme est un exemple et une preuve de la simplicité du grand Être ; que nous ne voyons ni ne sentons notre âme, qu’elle n’a point de parties, qu’elle est simple.