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LETTRE SUR UN ÉCRIT AN0NYME.


je leur déclare que je la dirai tant que je respirerai, sans craindre ni les énergumènes athées, ni les énergumènes superstitieux.

Encore une fois, je connais l’insensé méchant[1] qui, dans sa lettre anonyme, m’ose accuser de caresser les gens en place, et d’abandonner ceux qui n’y sont plus. Je lui répondrai sans détour qu’il en a menti. Il ne s’agit pas ici des petits vers qui ont formé les coraux, et de la mer qui a formé les montagnes, et de toutes ces pauvretés. Non, infâme calomniateur, non, je n’ai point oublié un homme hors de place[2] qui m’a comblé de bienfaits. J’ai témoigné publiquement la respectueuse estime, la tendre reconnaissance dont je serai pénétré pour lui jusqu’au dernier moment de ma vie. Périsse le monstre qui serait ingrat envers son bienfaiteur ! Il n’y a ni ministre ni roi qui ne doive approuver ces sentiments. Vous ne savez pas, misérable, jusqu’où j’ai poussé la fermeté de mon caractère inébranlable dans ses attachements, comme dans son mépris pour les lâches tels que vous. Non, je n’ai point caressé les gens en place, mais j’ai admiré l’abolissement de la vénalité, abus infâme contre lequel je m’étais élevé tant de fois; abus qui ne subsistait qu’en France, et qui la déshonorait.

J’ai senti le bonheur des provinces qui m’entourent, et dont les citoyens ne sont plus obligés d’aller à cent cinquante lieues payer un procureur, à trois mots par ligne, et consumer le reste de leur patrimoine à la porte d’un citoyen orgueilleux qui avait acheté dix mille écus le droit d’achever leur ruine. Je bénis le roi qui nous a délivrés du joug le plus insupportable. J’avais proposé cette réforme il y a vingt ans, je remercie la main qui l’a faite. Je suis citoyen, et vous ne parviendrez à faire regarder comme des flatteurs, ni moi, ni mes parents[3] qui servent l’État dans une place qu’ils n’ont point achetée, mais qu’ils ont méritée ; qui joignent la fermeté à la modestie, l’équité à la sensibilité, et qui méprisent vos cabales absurdes autant que vos lettres anonymes.

FIN DE LA LETTRE SUR UN ÉCRIT ANONYME.
  1. M. G. Avenel croit que Voltaire soupçonnait plutôt le baron d’Holbach que Georges Leroy, le véritable auteur.
  2. Le duc de Choiseul ; voyez la note de la page 413.
  3. Voltaire veut parler de son neveu Mignot, qui, après avoir été conseiller-clerc au grand conseil, en 1750, puis avoir donné sa démission, sollicita de faire partie du parlement Maupeou, et y fut en effet le premier des conseillers-clercs. (B.)