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EN FAIT DE JUSTICE. 513

à ordre en Lonne forme font disparaître toutes les apparences contraires. Vous êtes d'un âge mûr, vous êtes père de famille, vous avez promis de payer trois cent vingt-sept mille livres valeur reçue. Payez-les, comme vous consentez de payer les douze cents francs que vous avez reçus du même prêteur. La dette est pareille, la loi est précise. On ne plaide point contre sa signature en allé- guant de simples prohabilités.

Ceux qui sont persuadés que l'officier n'a point reçu les cent mille écus qu'on lui demande, avec l'intérêt usuraire de vingt-sept mille livres, diront : Il est vrai qu'en général on ne peut rien oppo- ser à une promesse valeur reçue; ce mot seul est la preuve légale de la dette. .Alais si un homme a fait un billet valeur reçue de cent mille écus à un mendiant, sera-t-il obligé de les payer? Non, sans doute. Pourquoi ? C'est que la loi ne j uge une promesse payable que parce qu'elle présume l'argent reçu en effet. Or elle ne peut pré- sumer que cette somme ait été reçue de la main d'un mendiant.

Il s'agit donc ici devoir s'il est aussi probable que l'officier n'a point reçu cent mille écus de la pauvre famille du troisième étage, qu'il serait proba])le que cet autre homme n'aurait point touché ces cent mille écus de la main d'un gueux qui demandait l'aumône.

Voilà comme peuvent raisonner les partisans de l'officier.

Les partisans de la famille du troisième étage répondront que la comparaison n'est point admissible; qu'on ne voit point de mendiant riche de cent mille écus, mais qu'on a vu plus d'une fois de vieilles avares posséder beaucoup d'or dans leur coffre. Ils diront que la loi ne force personne à montrer l'origine de sa fortune; que la famille du prêteur n'a découvert la source de sa richesse que par surabondance de droit; que si chaque citoyen était obligé défaire voir d'où il tient l'argent qu'il a prêté, on ne prêterait plus à personne, que la société serait dissoute. Malheur, diront-ils, aux imprudents majeurs qui font des billets à ordre mal à propos! Eût-on promis quatre millions à un pauvre de l'IIùpital, valeur reçue, il faudrait les payer fi l'échéance si on les avait.

Maintenant que pensera l'homme impartial et désintéressé?

Ne croira-t-il pas qu'il faut une preuve victorieuse pour annuler des billets de trois cent vingt-sept mille livres à ordre, et que les juges sont ici réduits à forcer, par une enquête sévère, les accusés à faire devant eux le même aveu qu'ils ont fait devant un commissaire, c'est-à-dire de confesser qu'ils n'ont jamais prêté cent mille écus ?

Cet aveu, arraché par la justice, est-il la seule pièce qui puisse détruire une promesse par écrit?

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