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IL FAUT PRENDRE UN PARTI,


terait son père, s'il n'était pas son père. Une fleur des champs, qu'on foule aux pieds, est un objet infiniment supérieur.


IX. — Du principe d'action des êtres sensibles.


Vient enfin le temps où un nombre plus ou moins grand de perceptions, reçu dans notre machine, semble se présenter à notre volonté. Nous croyons faire des idées. C'est comme si, en ouvrant le robinet d'une fontaine, nous pensions former l'eau qui en coule. Nous, créer des idées ! pauvres gens que nous sommes ! Quoi ! il est évident que nous n'avons eu nulle part aux premières, et nous serions les créateurs des secondes ! Pesons bien cette vanité de faire des idées, et nous verrons qu'elle est insolente et absurde.

Souvenons-nous qu'il n'y a rien dans les objets extérieurs qui ait la moindre analogie, le moindre rapport avec un sentiment, une idée, une pensée. Faites fabriquer un œil, une oreille, par le meilleur ouvrier en marqueterie, cet œil ne verra rien, cette oreille n'entendra rien. Il en est ainsi de notre corps vivant. Le principe universel d'action fait tout en nous. Il ne nous a point exceptés du reste de la nature.

Deux expériences continuellement réitérées dans tout le cours de notre vie, et dont j'ai parlé ailleurs [1], convaincront tout homme qui réfléchit que nos idées, nos volontés, nos actions, ne nous appartiennent pas.

La première, c'est que personne ne sait, ni ne peut savoir quelle idée lui viendra dans une minute, quelle volonté il aura, quel mot il proférera, quel mouvement son corps fera.

La seconde, que pendant le sommeil il est bien clair que tout se fait dans nos songes sans que nous y ayons la moindre part. Nous avouons que nous sommes alors de purs automates, sur lesquels un pouvoir invisible agit avec une force aussi réelle, aussi puissante qu'incompréhensible. Ce pouvoir remplit notre tête d'idées, nous inspire des désirs, des passions, des volontés, des réflexions. Il met en mouvement tous les membres de notre corps. Il est arrivé quelquefois qu'une mère a étouffé effectivement dans un vain songe son enfant nouveau-né qui dormait à côté d'elle ; qu'un ami a tué son ami. D'autres jouissent réellement d'une femme qu'ils ne connaissent pas. Combien de musiciens ont fait de la musique en dormant ! Combien de jeunes

  1. Voyez tome XIX, page 394.