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IL FAUT PRENDRE UN PARTI,


X. — Du principe d'action appelé âme.


Mais on a imaginé, après bien des siècles, que nous avions une âme qui agissait par elle-même ; et on s'est tellement accoutumé à cette idée qu'on l'a prise pour une chose réelle.

On a crié partout l'âme, l'âme ! sans avoir la plus légère notion de ce qu'on prononçait.

Tantôt par âme on voulait dire la vie, tantôt c'était un petit simulacre léger qui nous ressemblait, et qui allait après notre mort boire des eaux de l'Achéron ; c'était une harmonie, une homéomérie, une entéléchie. Enfin on en a fait un petit être qui n'est point corps, un souffle qui n'est point air ; et de ce mot souffle, qui veut dire esprit en plus d'une langue, on a fait un je ne sais quoi qui n'est rien du tout.

Mais qui ne voit qu'on prononçait ce mot d'âme vaguement et sans s'entendre, comme on le prononce encore aujourd'hui, et comme on profère les mots de mouvement, d'entendement, d'imagination, de mémoire, de désir, de volonté ? Il n'y a point d'être réel appelé volonté, désir, mémoire, imagination, entendement, mouvement. Mais l'être réel appelé homme comprend, imagine, se souvient, désire, veut, se meut. Ce sont des termes abstraits inventés pour faciliter le discours. Je cours, je dors, je m'éveille ; mais il n'y a point d'être physique qui soit course, ou sommeil, ou éveil. Ni la vue, ni l'ouïe, ni le tact, ni l'odorat, ni le goût, ne sont des êtres. J'entends, je vois, je flaire, je goûte, je touche. Et comment fais-je tout cela, sinon parce que le grand Être a ainsi disposé toutes les choses, parce que le principe d'action, la cause universelle, en un mot Dieu, nous donne ces facultés ?

Prenons-y bien garde, il y aurait tout autant de raison à supposer dans un limaçon un être secret appelé âme libre que dans l'homme. Car ce limaçon a une volonté, des désirs, des goûts, des sensations, des idées, de la mémoire. Il veut marcher à l'objet de sa nourriture, à celui de son amour. Il s'en ressouvient, il en a l'idée, il y va aussi vite qu'il peut aller ; il connaît le plaisir et la douleur. Cependant vous n'êtes point effarouché quand on vous dit que cet animal n'a point une âme spirituelle, que Dieu lui a fait ces dons pour un peu de temps, et que celui qui fait mouvoir les astres fait mouvoir les insectes. Mais, quand il s'agit d'un homme, vous changez d'avis. Ce pauvre animal vous paraît si digne de vos respects, c'est-à-dire vous êtes si orgueilleux