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IL FAUT PRENDRE UN PARTI,


un boyau rectum et une vessie [1]. Voilà un petit dieu plaisamment logé ! Quand madame accouche d'un enfant mort, que devient ce dieu-âme, qui était enfermé entre des excréments infects et de l'urine ? Où s'en retourne-t-il ?

Les mêmes difficultés, les mêmes inconséquences, les mêmes absurdités ridicules et révoltantes, subsistent dans tous les autres cas. L'idée d'une âme telle que le vulgaire la conçoit ordinairement sans réfléchir est donc ce qu'on a jamais imaginé de plus sot et de plus fou.

Combien plus raisonnable, plus décent, plus respectueux pour l'Être suprême, plus convenable à notre nature, et par conséquent combien plus vrai n'est-il pas de dire :

« Nous sommes des machines produites de tout temps les unes après les autres par l'Éternel géomètre ; machines faites ainsi que tous les autres animaux, ayant les mêmes organes, les mêmes besoins, les mêmes plaisirs, les mêmes douleurs ; très-supérieurs à eux tous en beaucoup de choses, inférieurs en quelques autres ; ayant reçu du grand Être un principe d'action que nous ne pouvons connaître ; recevant tout, ne nous donnant rien ; et mille millions de fois plus soumis à lui que l'argile ne l'est au potier qui la façonne ? »

Encore une fois, ou l'homme est un dieu, ou il est exactement tout ce que je viens de prononcer [2].


XII. — Si le principe d'action dans les animaux est libre.


Il y a dans l'homme et dans tout animal un principe d'action comme dans toute machine ; et ce premier moteur, ce premier ressort est nécessairement, éternellement disposé par le maître, sans quoi tout serait chaos, sans quoi il n'y aurait point de monde.

Tout animal, ainsi que toute machine, obéit nécessairement,

  1. Voyez tome XXI, page 333.
  2. Le pouvoir d'agir dans un être intelligent est uniquement la connaissance acquise par l'expérience que le désir qu'il forme que tel effet existe est constamment suivi de l'existence de cet effet. Nous ne pouvons avoir d'autre idée de l'action. Ainsi le raisonnement de Voltaire se réduit à ceci : Ce que je désire, ce que je veux a lieu d'une manière constante, mais pour un bien petit nombre de cas ; et même cet ordre est souvent interrompu sans que je sache comment. Je dois donc supposer qu'il existe un être dont la volonté est toujours suivie de l'effet : c'est la seule idée que je puis avoir d'un agent tout-puissant, et si je crois quelquefois être un agent borné, c'est seulement lorsque ma volonté est d'accord avec celle de cet Être suprême. (K.)