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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


et Dieu, pour les punir de leur gourmandise, les y laissa. Laissons-les-y aussi, eux, et leur déjeuner, et leur âne, et leur serpent. Ces ramas d'inconcevables fadaises, venues de Syrie, ne méritent pas qu'on s'y arrête un moment. Les détestables fables d'un peuple obscur doivent être bannies d'un sujet sérieux.

Revenons de ces inepties honteuses à ce grand mot d'Épicure, qui alarme depuis si longtemps la terre entière, et auquel on ne peut répondre qu'en gémissant. « Ou Dieu a voulu empêcher le mal, et il ne l'a pas pu ; ou il l'a pu, et ne l'a pas voulu, etc. »

Mille bacheliers, mille licenciés, ont jeté les flèches de l'école contre ce rocher inébranlable ; et c'est sous cet abri terrible que se sont réfugiés tous les athées : c'est là qu'ils rient des bacheliers et des licenciés. Mais il faut enfin que les athées conviennent qu'il y a dans la nature un principe agissant, intelligent, nécessaire, éternel, et que c'est de ce principe que vient ce que nous appelons le bien et le mal. Examinons la chose avec les athées.


XIX. — Discours d'un athée sur tout cela.


Un athée me dit : « Il m'est démontré, je l'avoue, qu'un principe éternel et nécessaire existe. Mais de ce qu'il est nécessaire je conclus que tout ce qui en dérive est nécessaire aussi ; vous avez été forcé d'en convenir vous-même. Puisque tout est nécessaire, le mal est inévitable comme le bien. La grande roue de la machine, qui tourne sans cesse, écrase tout ce qu'elle rencontre. Je n'ai pas besoin d'un être intelligent qui ne peut rien par lui-même, et qui est esclave de sa destinée comme moi de la mienne. S'il existait, j'aurais trop de reproches à lui faire ; je serais forcé de l'appeler faible ou méchant. J'aime mieux nier son existence que de lui dire des injures. Achevons, comme nous pourrons, cette vie misérable, sans recourir à un être fantastique que jamais personne n'a vu, et auquel il importerait très-peu, s'il existait, que nous le crussions ou non. Ce que je pense de lui ne peut pas plus l'affecter, supposé qu'il soit, que ce qu'il pense de moi, et que j'ignore, ne m'affecte. Nul rapport entre lui et moi, nulle liaison, nul intérêt. Ou cet être n'est pas, ou il m'est absolument étranger. Faisons comme font neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mortels sur mille : ils sèment, ils plantent, ils travaillent, ils engendrent, ils mangent, boivent, dorment, souffrent, et meurent sans parler de métaphysique, sans savoir s'il y en a une. »