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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


Romains, quoique un peu débauchés comme le sont aujourd'hui tous les chrétiens de bonne compagnie, quoique un peu ivrognes comme des chanoines d'Allemagne, quoique un peu sodomites comme le roi de France Henri III et son Nogaret, étaient très-religieux. Ils sacrifiaient, ils offraient de l'encens, ils faisaient des processions, ils jeûnaient : « Stolatœ ibant nudis pedibus, passis capillis,.., manibus [1] puris, et Jovem aquam exorabant [2] ; et statim urceatim pluebat. »

« Mais tout se corrompt. La religion s'altéra. Ce beau nom de fils de Dieu, c'est-à-dire de juste et de bienfaisant, fut donné dans la suite aux hommes les plus injustes et les plus cruels, parce qu'ils étaient puissants. L'antique piété, qui était humaine, fut chassée par la superstition, qui est toujours cruelle. La vertu avait habité sur la terre tant que les pères de famille furent les seuls prêtres et offrirent à Jupiter et aux dieux immortels les prémices des fruits et des fleurs ; mais tout fut perverti quand les prêtres répandirent le sang, et voulurent partager avec les dieux. Ils partagèrent en effet, en prenant pour eux les offrandes, et laissant aux dieux la fumée. On sait comment nos ennemis réussirent à nous écraser, en adoptant nos premières mœurs, en rejetant nos sacrifices sanglants, en rappelant les hommes à l'égalité, à la simplicité, en se faisant un parti parmi les pauvres, jusqu'à ce qu'ils eussent subjugué les riches. Ils se sont mis à notre place. Nous sommes anéantis, ils triomphent ; mais, corrompus enfin comme nous, ils ont besoin d'une grande réforme, que je leur souhaite de tout mon cœur. »


XXII. — Discours d’un juif.


« Laissons là cet idolâtre qui fait de Dieu un stathouder, et qui nous présente des dieux subalternes comme des députés des Provinces-Unies.

« Ma religion, étant au-dessus de la nature, ne peut avoir rien qui ressemble aux autres.

« La première différence entre elles et nous, c'est que notre source fut cachée très-longtemps au reste de la terre. Les dogmes de nos pères furent ensevelis, ainsi que nous, dans un petit pays d'environ cinquante lieues de long sur vingt de large. C'est dans ce puits qu'habita la vérité, inconnue à tout le globe, jusqu'à ce

  1. Le texte porte (chap. XLIV) : Mentibus puris.
  2. Dans l'édition de Burmaun, on lit : Itaque statim urceatim plovebat.