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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

accusa de cette barbarie le colonel anglais Lawrence, qui s’en défendit, comme d’une imposture criante[1].

Pour le major Lass, relâché sur sa parole, et revenu à Pondichéry, le gouverneur le mit en prison, parce qu’il avait été aussi malheureux que brave. Il osa même lui faire un procès criminel qu’il n’osa pas achever.

Pondichéry restait dans la disette, dans l’abattement, et dans la crainte, tandis qu’on envoyait en France des médailles d’or frappées en l’honneur et au nom de son gouverneur. Il fut rappelé en 1753, partit en 1754, et vint à Paris désespéré. Il intenta un procès contre la compagnie. Il lui redemandait des millions qu’elle lui contestait, et qu’elle n’aurait pu payer si elle en avait été débitrice. Nous avons de lui un mémoire dans lequel il exhalait son dépit contre son successeur Godeheu, l’un des directeurs de la compagnie. M. Godeheu lui répondit, non sans aigreur. Les factums de ces deux négociants titrés sont plus volumineux que l’histoire d’Alexandre. Ces détails fastidieux de la faiblesse humaine sont feuilletés pendant quelques jours par ceux qui s’y intéressent, et sont oubliés bientôt pour de nouvelles querelles, à leur tour effacées par d’autres. Enfin Dupleix mourut[2] du chagrin que lui causèrent sa grandeur, sa chute, et surtout la nécessité douloureuse de solliciter des juges après avoir régné. Ainsi les deux grands rivaux qui s’étaient signalés dans l’Inde, La Bourdonnaie et Dupleix, périrent l’un et l’autre à Paris par une mort triste et prématurée.

Ceux qui étaient par leurs lumières en droit de décider de leur mérite disaient que La Bourdonnaie avait les qualités d’un marin et d’un guerrier, et Dupleix celles d’un prince entreprenant et politique. C’est ainsi qu’en parle un auteur anglais qui a écrit les guerres des deux compagnies jusqu’en 1755.

M. Godeheu était un négociant sage et pacifique, autant que son prédécesseur avait été audacieux dans ses projets, et brillant dans son administration. Le premier n’avait pensé qu’à s’agrandir par la guerre. Le second avait ordre de se maintenir par la paix, et de revenir rendre compte de sa gestion à la cour, lorsqu’un troisième gouverneur serait établi à Pondichéry.

Il fallait surtout ramener les esprits des Indiens, irrités par des cruautés exercées sur quelques-uns de leurs compatriotes dé-

  1. Chandazaëb fut jugé par un conseil où fut appelé Mahomet-Ali-kan, suivant une lettre écrite de l’Inde à M. de Voltaire en 1770. (Note de Wagnière.)
  2. En 1763, c’est-à-dire huit ans après son rival La Bourdonnaie.