Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

Ces souverains, qui sont, comme nous l’avons déjà dit[1], les soubas, premiers seigneurs féodaux de l’empire, n’ont joui d’une autorité indépendante qu’à la mort d’Aurengzeb[2], appelé le Grand, qui fut en effet le plus grand tyran de tous les princes de son temps, empoisonneur de son père, assassin de ses frères, et, pour comble d’horreur, dévot, ou hypocrite, ou persuadé, comme tant de pervers de tous les temps et de tous les lieux, qu’on peut commettre impunément les plus grands crimes en les expiant par de légères démonstrations de pénitence et d’austérité.

Les provinces où règnent ces soubas, et où les nababs règnent sous eux dans leurs grands districts, se gouvernent très-différemment des provinces septentrionales plus voisines de Delhi, d’Agra, et de Lahore, résidences des empereurs.

Nous avouons à regret qu’en voulant connaître la véritable histoire de cette nation, son gouvernement, sa religion et ses mœurs, nous n’avons trouvé aucun secours dans les compilations de nos auteurs français. Ni les écrivains qui ont transcrit des fables pour des libraires, ni nos missionnaires, ni nos voyageurs, ne nous ont presque jamais appris la vérité. Il y a longtemps que nous osâmes réfuter ces auteurs sur le principal fondement du gouvernement de l’Inde[3]. C’est un objet qui importe à toutes les nations de la terre. Ils ont cru que l’empereur était le maître des biens de tous ses sujets, et que nul homme, depuis Cachemire jusqu’au cap de Comorin, n’avait de propriété. Bernier, tout philosophe qu’il était, l’écrivit au contrôleur général Colbert[4]. C’eût été une imprudence bien dangereuse de parler ainsi à l’administrateur des finances d’un roi absolu, si ce roi et ce ministre n’avaient pas été généreux et sages. Bernier se trompait, ainsi que l’Anglais Thomas Roe. Tous deux éblouis de la pompe du Grand Mogol et de son despotisme, ils s’imaginèrent que toutes les terres lui appartenaient en propre, parce que ce sultan donnait des fiefs à vie[5] : c’est précisément dire que le grand maître de Malte est propriétaire de toutes les commanderies auxquelles il nomme en Europe ; c’est dire que les rois de France et d’Espagne sont les propriétaires de toutes les terres dont ils donnent les gouverne-

  1. Page 91.
  2. Voyez tome XIII, pages 138, 140, 155, etc.
  3. Voyez tome XII, page 371 et suiv.
  4. « Toutes les terres du royaume étant en propre au roi (page 307)… savoir s’il ne serait pas plus expédient… que ce prince… ne fût pas ainsi propriétaire de toutes les terres du royaume » (page 310). (Voyages de Fr. Bernier, Amsterdam, 1699, in-12, tome Ier.)
  5. Voyez tome XIII, page 159.