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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

rent bientôt leurs voix à ce cri général, surtout ceux du bataillon de l’Inde, troupe appartenante à la compagnie, furent les plus aigris. Ils surent malheureusement ce que portait l’instruction du ministère. « Vous aurez l’attention de ne confier aucune expédition aux seules troupes de la compagnie. Il est à craindre que l’esprit d’insubordination, d’indiscipline et de cupidité, leur fasse commettre des fautes, et il est de la sagesse de les prévenir pour n’avoir pas à les punir. » Tout concourut donc à rendre le général odieux, sans le faire respecter.

Avant d’aller à Madras, toujours rempli du projet de chasser les Anglais de l’Inde, mais manquant de tout ce qui était nécessaire pour de si grands efforts, il pria le brigadier de Bussy de lui prêter cinq millions dont il serait la seule caution. M. de Bussy, en homme sage, ne jugea point à propos de hasarder une somme si forte, payable sur des conquêtes si incertaines ; il prévit qu’une lettre de change signée Lally, remboursable dans Madras ou dans Calcutta, ne serait jamais acceptée par les Anglais. Il est des circonstances où, si vous prêtez votre argent, vous vous faites un ennemi secret ; refusez-le, vous avez un ennemi ouvert. L’indiscrétion de la demande et la nécessité du refus firent naître entre le général et le brigadier une aversion qui dégénéra en une haine irréconciliable, et qui ne servit pas à rétablir les affaires de la colonie. Plusieurs autres officiers se plaignirent amèrement. On se déchaîna contre le général ; on l’accabla de reproches, de lettres anonymes, de satires. Il en tomba malade de chagrin : quelque temps après, la fièvre et de fréquents transports au cerveau le troublèrent pendant quatre mois ; et pour consolation on lui insultait encore.


ARTICLE XV.


MALHEURS NOUVEAUX DE LA COMPAGNIE DES INDES.


Dans cet état, non moins triste que celui de Pondichéry, le général formait de nouveaux projets de campagne. Il envoya au secours de l’établissement très-considérable de Masulipatan, à soixante lieues au nord de Madras, M. de Moracin, officier dans le civil et dans le militaire, homme de tête et de résolution, capable d’affronter la flotte anglaise, maîtresse de la mer, et de lui échapper. Moracin était un de ses ennemis les plus déclarés et les plus ardents. Le général était réduit à ne pouvoir guère en employer d’autres. Cet officier, membre du conseil, partit avec