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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

Les missionnaires se mêlent de tout dans cette partie de l’Inde : un d’eux, qui était Portugais et décoré du titre d’évêque d’Halicarnasse, avait amené deux mille Marattes. Ils ne combattirent point à la journée de Vandavachi ; mais pour faire quelque exploit de guerre, ils pillèrent tous les villages appartenants encore à la France, et partagèrent le butin avec l’évêque[1].

Nous ne prétendons pas faire un journal de toutes les minuties du brigandage, et détailler les malheurs particuliers qui précédèrent la prise de Pondichéry et le malheur général. Quand une peste a détruit une peuplade, à quoi bon fatiguer les vivants du récit de tous les symptômes qui ont emporté tant de morts ? Il nous suffira de dire que le général Lally se retira dans Pondichéry, et que les Anglais bloquèrent bientôt cette capitale.


ARTICLE XVI.


AVENTURE EXTRAORDINAIRE DANS SURATE. LES ANGLAIS Y DOMINENT.


Pendant que la colonie française était dans le trouble et dans la détresse, les Anglais donnèrent dans l’Inde, à cinq cents lieues de Pondichéry, un exemple qui tint toute l’Asie attentive.

Surate ou Surat, au fond du golfe de Cambaie, était, depuis Tamerlan, le grand marché de l’Inde, de la Perse et de la Tartarie : les Chinois même y avaient envoyé souvent des marchandises. Elle conservait encore un très-grand lustre, habitée principalement par des Arméniens et par des Juifs, courtiers de toutes les nations ; et chaque nation y avait son comptoir. C’était là que se rendaient tous les sujets mahométans du Grand Mogol, qui voulaient faire le pèlerinage de la Mecque. Un seul grand vaisseau que l’empereur entretenait à l’embouchure de la rivière qui passe à Surate transportait de là les pèlerins à la mer Rouge. Ce vaisseau et les autres petits navires indiens étaient sous les ordres d’un Cafre, qui avait amené une colonie de Cafres à Surate.

Cet étranger mourut, et son fils obtint sa place. Deux Cafres,

  1. Un évêque latin de la ville grecque d’Halicarnasse, qui appartient aux Turcs ! Un évêque d’Halicarnasse, qui prêche et qui pille ! Et qu’on dise, après cela, que ce monde ne se gouverne pas par des contradictions ! Cet homme s’appelait Norogna : c’était un cordelier de Goa, qui s’était enfui à Rome, où il avait obtenu un titre d’évêque missionnaire. M. de Lally lui disait quelquefois : « Mon cher prélat, comment as-tu fait pour n’être pas brûlé ou pendu ? » (Note de Voltaire.)