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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

mais cent incongruités dans la conduite d’un homme en place, cent défauts dans le caractère, cent traits de mauvaise humeur mis ensemble, ne composaient pas un crime digne du dernier supplice. S’il était permis de se battre contre son général, s’il fût mort dans un combat de la main des officiers outragés par lui, on eût pu ne pas le plaindre ; mais il ne méritait pas de mourir du glaive de la justice, qui ne connaît ni haine ni colère. On peut assurer qu’aucun militaire ne l’eût accusé si violemment, s’ils avaient prévu que leurs plaintes le conduiraient à l’échafaud ; au contraire, ils l’auraient excusé. Tel est le caractère des officiers français.

Cet arrêt semble aujourd’hui d’autant plus cruel que, dans le temps même où l’on avait instruit ce procès, le Châtelet, chargé par ordre du roi de punir les concussions évidentes faites en Canada par des gens de plume, ne les avait condamnés qu’à des restitutions, à des amendes et à des bannissements. Les magistrats du Châtelet avaient senti que, dans l’état d’humiliation et de désespoir où la France était réduite en ce temps malheureux, ayant perdu ses troupes, ses vaisseaux, son argent, son commerce, ses colonies, sa réputation, on ne lui aurait rien rendu de tout cela en faisant pendre dix ou douze coupables qui, n’étant point payés par un gouvernement alors obéré, s’étaient payés par eux-mêmes. Ces accusés n’avaient point contre eux de cabale, et il y en avait une acharnée et terrible contre un Irlandais qui paraissait avoir été bizarre, capricieux, emporté, jaloux de la fortune d’autrui, appliqué à son intérêt sans doute comme tout autre ; mais point voleur, mais brave, mais attaché à l’État, mais innocent. Il fallut du temps pour que la pitié prît la place de la haine : on ne revint en faveur de Lally qu’après plusieurs mois, quand la vengeance, assouvie, laissa entrer l’équité dans les cœurs avec la commisération.

Ce qui contribua le plus à rétablir sa mémoire dans le public,


    pour lui, disait : « Milords, je représenterai humblement à Vos Grandeurs que ce que nous entreprenons de faire aujourd’hui est une affaire de la plus haute et de la plus grande conséquence. Il s’agit ici de la vie d’un archevêque, et d’un archevêque élevé à la plus haute dignité… — Monsieur Herne, dit alors le conseiller Wild en l’interrompant, nous n’avons jamais allégué que chacune de ses actions, prises en particulier, rendît cet archevêque coupable de trahison et de mort ; mais nous disons que toutes les fautes de cet archevêque, soit grandes, soit petites, mises ensemble, forment par voie d’accumulation une grande trahison. — Monsieur le conseiller, répliqua Herne, je vous demande pardon ; mais je n’avais pas su jusqu’ici que deux cents lapins pussent jamais faire un cheval. » (Note de Voltaire.) — Cette note est posthume.