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FRAGMENTS HISTORIQUES

Les Égyptiens inventèrent une autre folie ; ils imaginèrent qu’ils ressusciteraient au bout de trois mille ans ; et même enfin, trouvant le terme trop éloigné, ils obtinrent de leurs choen, de leurs prêtres, que leurs âmes rentreraient dans leurs corps après dix siècles de mort seulement. Dans cette douce espérance[1], ils essayèrent de ne perdre de leur corps que le moins qu’ils pourraient. L’art d’embaumer devint le plus grand art de l’Égypte. Une âme, à la vérité, devait être fort embarrassée de se trouver sans ses entrailles et sans sa cervelle, que les embaumeurs avaient arrachées ; mais les difficultés n’arrêtèrent jamais les systèmes. Nous avons bien eu parmi nous un philosophe qui a dit que nous ressusciterions sans derrière[2].

Platon enfin, qui avait puisé quelques idées dans Pythagore et dans Timée de Locres, admit la métempsycose dans son livre d’une république chimérique, et dans son dialogue, non moins chimérique, de Phèdre. Il semblerait que Virgile crût à ce système, dans son sixième chant, s’il croyait quelque chose.

O pater ! anne aliquas ad cœlum hinc ire putandum est
Sublimes animas, iterumque ad tarda reverti
Corpora ? Quæ lucis miseris tam dira cupido !

(Æneid., lib. VI, v. 719.)

Quel désir insensé d’aspirer à renaître ;
D’affronter tant de maux pour le vain plaisir d’être ;
De reprendre sa chaîne, et d’éprouver encor
Les chagrins de la vie et l’horreur de la mort !

On prétend que les Gaulois, les Celtes, avaient adopté la croyance de la métempsycose, quoiqu’ils ne connussent ni le Léthé de Virgile, ni les embaumements de l’Égypte. César dit dans ses Commentaires[3] : « Ils pensent que les âmes ne meurent point, mais qu’elles passent d’un corps à un autre. Cette idée, selon eux, inspire un courage qui fait mépriser la mort. »

Mais César, qui était épicurien, ne croyant point à l’immortalité de l’âme, avait encore plus de courage que les Gaulois. Que César ait eu tort, et que les Gaulois aient eu raison, il est toujours

  1. Voltaire, qui avait émis cette idée en 1765 et 1769, voyez tome XI, page 65, et XXVIII, 150, s’était rétracté en 1771 ; voyez tome XX, page 364 ; il revient ici à sa première idée.
  2. Charles Bonnet, dans sa Palingénésie ; voyez tome XXVIII, page 219.
  3. « In primis hoc volunt persuadere non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios : atque hoc maxime ad virtutem excitari putant, motu mortis neglecto. » (De Bello Gallico, VI, v.)