Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
FRAGMENT

envoya vite chercher des reliques de saint Félix de Nole ? Dès qu’elles furent arrivées, le possédé tomba par terre.

Est-il possible qu’on ait écrit sérieusement que saint Denis l’Aréopagite, étant venu d’Athènes à Paris, fut pendu à Montmartre ; qu’il prêcha du haut de la potence dès qu’il fut étranglé, et qu’ensuite il porta sa tête entre ses bras dès qu’il eut le cou coupé ?

Nous pourrions citer trois morts ressuscités en un jour par saint Dominique ; vingt-huit aveugles, quatre possédés, six lépreux, trois sourds, trois muets guéris, et quatre morts ressuscités, le tout par saint Victor.

Saint Maclou, pressé de ressusciter un mort, répond : « Qu’il attende que j’aie dit ma messe. » La messe finie, il le ressuscite ; le mort demande à boire : soudain saint Maclou change de l’eau en vin, un caillou en gobelet, un balai en serviette. Le mort boit et reconnaît que ces trois miracles sont en l’honneur de la Trinité. C’est là pourtant ce qu’écrivent les jésuites Ribadeneira et Antoine Girard dans la Vie des Saints.

On a écrit, et depuis la renaissance des lettres on a imprimé plus de dix mille contes de cette force. Le bénédictin Ruinart nous en a donné de pareils dans ses prétendus Actes sincères[1], qui sont évidemment du xiiie siècle, et tous écrits du même style. C’est là qu’il renouvelle l’histoire du cabaretier Théodote et de la langue de Romain.

On rendit à la raison et à la religion le service de détruire ces fables : elles étaient encore si accréditées qu’un jésuite nommé Nonotte prit leur défense, et fut même secondé par quelques écrivains.

Plusieurs regardaient comme un article de foi l’apparition du labarum dans les nuées. Ils ne savaient si c’était vers Besançon, ou vers Troie, ou vers Rome, et si l’inscription était en latin ou en grec ; mais ils étaient sûrs de l’apparition.

Par quel excès de démence a-t-on écrit et répété si souvent que, dans l’année 287, au temps même que Dioclétien favorisait le plus notre sainte religion, lorsque les principaux officiers de son palais étaient chrétiens, lorsque sa femme était chrétienne, cet empereur fit couper la tête à toute une légion appelée Thébaine, composée de six mille sept cents hommes, et cela parce qu’elle était chrétienne ? Nous avions anéanti[2] cette fable imper-

  1. Voyez tome XIV, page 125.
  2. Voyez tome XXIV, page 487.