Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/296

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de deux cents ans. Dieu nous préserve de rentrer dans les troubles dont la sagesse et la bonté du roi nous ont tirés ! Ce serait violer le pacte de famille qui subsiste dans l’auguste maison de France et d’Espagne. Le roi d’Espagne a déclaré qu’il gardait dans son cœur royal l’offense affreuse que les jésuites lui avaient faite. Il ne nous a point dit précisément de quelle arme ils s’étaient servis pour percer son cœur ; mais le pontife éclairé qui siège à Rome a pu le savoir. Il a mis en prison le général de la compagnie[1], et ses confidents. La société des jésuites est anéantie : on ne risquera pas de détruire la société du genre humain en rétablissant ce qu’on a eu tant de peine à détruire[2].

Il est constant que les jésuites Alessandro, Mathos, et Malagrida, furent convaincus[3]), dans un acordao du conseil suprême de Lisbonne, d’avoir employé la confession auriculaire pour faire assassiner le roi de Portugal, auquel il n’en coûta qu’un bras. La confession de Jean Châtel à un jésuite n’avait coûté qu’une dent à notre cher Henri IV ; la confession des incendiaires de Londres aux RR. PP. Oldcorn et Garnet préparait la mort la plus inouïe au roi et au parlement d’Angleterre. Ils ont été chassés de tous ces pays. Je puis me tromper, mais je ne crois pas qu’on les y rappelle sitôt.

Si le pape Clément XIV ne les a pas traités comme Clément V traita les templiers, c’est que nous sommes dans un temps où les lettres et les arts ont enfin adouci les mœurs ; c’est que les crimes, quoique réitérés, de plusieurs membres ne doivent pas attirer des supplices barbares à tout le corps. Plusieurs jeunes jésuites ont été accusés des mêmes péchés qu’on reprochait aux templiers ; cependant on ne les a brûlés ni en France, ni en Espagne, ni en Italie. Nous sommes devenus plus humains, mais il ne faut pas devenir imbéciles ; et nous le serions si nous conservions la graine d’une plante qui nous a paru un poison.

Parmi les jésuites on a vu et on voit encore des hommes très-estimables, des savants utiles. Le roi de Prusse[4] les a conservés dans ses États ; ils y peuvent servir à instruire la jeunesse. Des religieux catholiques ne sont pas assez puissants pour nuire dans un royaume protestant et tout militaire, dans lequel un seul ordre du roi, porté par un grenadier, arrête tout d’un coup toutes les disputes scolastiques.

  1. Laurent Ricci, né à Florence en 1703, mort en prison le 22 novembre 1775.
  2. Les jésuites ont été rétablis en 1814.
  3. Voyez : tome XV, page 396.
  4. Frédéric II.