Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/391

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Hurons, les Chiacas, il faut que toutes les voix soient unanimes pour dépecer un prisonnier et pour le manger ? Quand elles ne le sont pas, le captif est adopté dans une famille, et regardé comme l’enfant de la maison.

Sire, mon application à mes devoirs ne m’a pas permis d’être instruit plus tôt des détails de cette Saint-Barthélemy d’Abbeville. Je ne sais que d’aujourd’hui que l’on destinait trois autres enfants à cette boucherie. J’apprends que les parents de ces enfants, poursuivis comme moi par Duval Saucourt et Broutel, trouvèrent huit avocats pour les défendre, quoiqu’en matière criminelle les accusés n’aient jamais le secours d’un avocat quand on les interroge et quand on les confronte. Mais un avocat est en droit de parler pour eux sur tout ce qui ne concerne pas la procédure secrète. Et qu’il me soit permis, sire, de remarquer ici que chez les Romains, nos législateurs et nos maîtres, et chez les nations qui se piquent d’imiter les Romains, il n’y eut jamais de pièces secrètes. Enfin, sire, sur la seule connaissance de ce qui était public, ces huit avocats intrépides déclarèrent, le 27 juin 1766 :

1° Que le juge Saucourt ne pouvait être juge, puisqu’il était partie (pages 15 et 16 de la consultation) ;

2° Que Broutel ne pouvait être juge, puisqu’il avait agi en plusieurs affaires en qualité de procureur, et que son unique occupation était alors de vendre des bestiaux (Page 17) ;

3° Que cette manœuvre de Saucourt et de Broutel était une infraction punissable de la loi (mêmes pages).

Cette décision de huit avocats célèbres est signée : « Cellier, d’Outremont, Muyart de Vouglans, Gerbier, Timbergue, Benoist fils, Turpin, Linguet. »

Il est vrai qu’elle vint trop tard. L’estimable chevalier de La Barre était déjà sacrifié. L’injustice et l’horreur de son supplice, jointes à la décision de huit jurisconsultes, firent une telle impression sur tous les cœurs que les juges d’Abbeville n’osèrent poursuivre cet abominable procès. Ils s’enfuirent à la campagne, de peur d’être lapidés par le peuple. Plus de procédures, plus d’interrogatoires et de confrontations. Tout fut absorbé dans l’horreur qu’ils inspiraient à la nation, et qu’ils ressentaient en eux-mêmes.

Je n’ai pu, sire, faire entendre autour de votre trône le cri du sang innocent. Souffrez que j’appelle aujourd’hui à mon secours le jugement de huit interprètes des lois qui demandent vengeance pour moi, comme pour les trois autres enfants qu’ils ont sauvée de la mort. La cause de ces enfants est la mienne. Je n’ai pas